Recension d’un livre passionnant et complet sur l’épopée des guerres de Vendée.
Lu pour vous dans Présent
« Les Brigands n’ont pas le temps d’écrire ni de faire des journaux. Tout cela s’oubliera comme tant d’autres choses. » A l’automne 1793, Merlin de Thionville, représentant en mission, ne doute pas que la mémoire vendéenne s’évanouira. Et pourtant ! Si de multiples tentatives d’occultation des massacres républicains ont eu lieu – à tel point que Reynald Secher a pu parler de «mémoricide» —, les guerres de l’Ouest ont provoqué depuis près de deux siècles une véritable boulimie historiographique ! Chez les Bleus comme chez les Blancs, l’insurrection vendéenne a suscité maints travaux, de qualités inégales et aux objets divers. Monographies, biographies, études militaires, travaux sociologiques, politiques, statistiques, démographiques…
Tout semble avoir été dit à propos de cette « inexplicable Vendée », selon le mot du conventionnel Barère. Mais si l’historiographie vendéenne a particulièrement fleuri depuis trente ans, notamment sur la question du génocide; il manquait un ouvrage complet, total et simple d’accès, servant à la fois de récapitulatif des dernières recherches et de guide d’accès à destination des lecteurs désireux de découvrir l’histoire de ce peuple de géants ».
C’est la tâche que se sont assignée Jean-Joël Brégeon et Gérard Guicheteau. Le premier fut notamment l’auteur d’un Carrier et la terreur nantaise (Perrin, 201.6). Le second, journaliste et historien, s’était, notamment illustré à travers des publications consacrées à la Première Guerre mondiale. Mais c’est une autre « grande guerre », celle de 1793, que content nos deux auteurs à travers cette copieuse Nouvelle Histoire des guerres de Vendée (plus de 400 pages).
« Nouvelle histoire » ? Oui, car il s’agit bien là de livrer une histoire totale, la plus exhaustive et ne cédant pas à la facilité du parti pris. Tout au long du volume, le lecteur ressent le souci qu’ont eu Brégeon et Guicheteau de corriger les nombreuses idées reçues dont souffre notre compréhension du conflit vendéen. Des exemples ? Les auteurs rappellent qu’une partie non négligeable de la Vendée militaire fut gagnée, un siècle avant la Révolution, par l’hérésie protestante, avant d’être réévangélisée grâce au talent missionnaire de saint Louis-Marie de Montfort. De quoi relativiser la légende d’une terre éternellement « catholique et royaliste » !
Autres clichés fort répandus : celui d’un complot fomenté par les prêtres et les aristocratiques — alors que la spontanéité du soulèvement est attestée —, la confusion entre Vendéens et Chouans, ou encore l’idée d’une insurrection uniquement paysanne. Brégeon et Guicheteau rappellent que l’épopée vendéenne est bien le fait des ruraux, mais au sens large, et non celui des seuls paysans. On trouve ainsi, parmi les premiers meneurs de l’insurrection contre-révolutionnaire, des médecins, des artisans (menuisiers, colporteurs), ou encore un barbier et un garde-chasse… Loin d’être illettrés, tous savent lire et écrire et ont une influence indéniable sur les gars de leur paroisse.
Les premiers chapitres de l’ouvrage ne sont pas les moins intéressants, puisqu’ils permettent de comprendre la genèse de l’aventure vendéenne. On y apprend que les ruraux du Haut-Poitou, dans le Pays de Bressuire, avaient déjà fait le coup de main au mois d’août 1792, avant d’être sévèrement réprimés par les Bleus. La raison de leur colère ? La politique anticatholique de la Convention nationale.
Ouvrage sérieux et chronologique, la publication de Brégeon et Guicheteau se veut à la fois une fresque minutieuse des événements clefs de la guerre de Vendée — notamment la Virée de Galerne, qui vit la Vendée s’exporter outre Loire à l’automne 1793 — et une galerie de portraits de personnages célèbres — les chefs bleus et blancs — ou moins connus de l’affaire vendéenne. Des pages passionnantes sont consacrées à la question « génocidaire » — sur laquelle les auteurs n’ont pas l’intention de trancher — ainsi qu’à celle du bilan humain de la guerre de Vendée : question insoluble s’il en est.
Les derniers feux de la Vendée, demeurés incandescents grâce aux escarmouches héroïques de Stofflet et Charette, s’éteindront avec la pacification du Premier consul et auront peine à se rallumer à nouveau lors des Cent Jours et enfin, en 1832, sous la houlette de la duchesse de Berry, qui voudra « forcer son destin ». Mais si l’histoire des guerres de Vendée s’arrête ici, sa mémoire est toujours bien vivante. Ce bel ouvrage y participe.
Tugdual Fréhel
Présent n°8869 du 27 mai 2017