Le ministre de la Culture de la République en marche a failli laisser commémorer la naissance de Charles Maurras, penseur monarchiste et principale figure de l’Action française. A qui se fier ?
Lu pour vous dans Minute.
Tempêtes sous les crânes durs, émoi parmi les matons de la pensée et les gardiens des dogmes, le pis a failli arriver, la République a manqué commémorer la naissance en 1868 de Charles Maurras, l’un des plus dangereux penseurs de la droite française et monarchiste impénitent !
Comme le rappelait encore le 28 janvier le Recueil des commémorations nationales 2018, « cet écrivain reconnu tant en France qu’à l’étranger fut aussi le théoricien politique du «nationalisme intégral» et un polémiste redouté ». Les gauches ne l’ignorent pas et leur mémoire reptilienne porte encore le souvenir, brouillé mais douloureux, des fustigations que leur infligea jadis le publiciste royaliste.
Le préfet de la pensée impose sa loi
Si l’on ajoute que Patrick Buisson, ex-éminence grise (ou peut-être bleu roi) de Nicolas Sarkozy et tenu pour responsable de la campagne « droitière » de celui-ci en 2012, est ordinairement qualifié de maurrassien, et que Laurent Wauquiez lui-même a implicitement été accusé de l’être par Valérie Pécresse, qui opposait Maurras à De Gaulle, force est de convenir que le fantôme du vieux lutteur royaliste continue de hanter la vie politique française.
A la nouvelle de cette commémoration officielle, associations « antiracistes » et politiciens sont donc montés au créneau dare-dare. SOS-Racisme a ainsi appelé à ne pas laisser «opérer une opération (sic) de réhabilitation de celles et de ceux qui, par leurs écrits et leurs actions, ont contribué à assombrir le siècle dernier », et précisé à propos de Maurras que « le rejet de la démocratie et son «antisémitisme d’Etat» sont les deux principes structurants de son oeuvre idéologique» — ce qui en dénote une méconnaissance profonde.
La Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) a fait chorus, en rappelant que « Charles Maurras est frappé d’indignité nationale. Il a été condamné à la perpétuité pour haute trahison et intelligences avec l’ennemi ». Fermez le ban.
Du côté des personnalités, Alexis Corbière, député de La France insoumise et ancien membre de la Ligue communiste révolutionnaire, se déclarant « stupéfait », a protesté que « la République ne doit valoriser ni antirépublicains, ni antisémites » — en oubliant que Karl Marx lui-même n’avait pas fait preuve d’un grand philosémitisme dans son livre sur « la question juive ».
Et l’ancien premier ministre de François Hollande, Manuel Valls, a rappelé que Maurras «prônait un antisémitisme d’État et il a été condamné pour cela » —ce qui est inexact, le chef de file de l’Action française ayant été condamné, en janvier 1945, pour intelligences avec l’ennemi.
Dans la foulée, le préfet Frédéric Potier, chargé par le gouvernement de diriger la Dilcrah (Délégation interministérielle à la Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, pas moins !), n’a pas hésité à prendre à contre-pied le ministre de la Culture, Françoise Nyssen, en affirmant que « commémorer c’est rendre hommage. Maurras, auteur antisémite d’extrême droite, n’a pas sa place dans les commémorations nationales 2018. »
L’épuration ne doit pas s’arrêter là !
A la décharge de madame le ministre, il faut reconnaître qu’elle a réagi avec presque toute la célérité qu’exigeait cette gaffe magistrale. Dès le 27 janvier, elle a rappelé « son rejet total des thèses et de l’engagement de Maurras » et précisé qu’il ne s’agissait « évidemment pas de célébrer le penseur de l’extrême droite qu’était Maurras mais au contraire de connaître son rôle dans l’histoire de France ».
A supposer qu’elle connaisse ces thèses et ce rôle autrement que par ouï-dire… « Pour l’heure, les équipes de Françoise Nyssen ne s’expriment pas sur l’éventualité d’un retrait de l’écrivain d’extrême droite de ce recueil de commémoration », précisait alors le ministère ; mais on sentait qu’un vent de panique soufflait dans les couloirs de la rue de Valois et que le rétropédalage allait vite commencer.
Le lendemain, c’était chose faite : Françoise Nyssen annonçait qu’elle avait demandé au directeur de la publication du Livre des Commémorations nationales 2018 « de rappeler l’ouvrage et de lancer sa réimpression après retrait de la référence à Maurras ». Et pour faire bonne mesure et plate repentance, elle ajoutait qu’elle recevrait « très prochainement » les membres du Haut Comité coupable d’avoir rédigé le recueil nauséabond «afin de questionner, ensemble, la pertinence de cette démarche mémorielle conduite au nom de l’Etat par des experts »…
Une bonne petite épuration serait sans doute de circonstance. Ce Haut Comité est présidé par Danièlle Sallenave, l’une des quatre femmes membres de l’Académie française, qui publia en 1998 des Carnets de route en Palestine occupée, dans lesquels elle demandait : «L’indispensable mémoire de l’Holocauste aurait-elle jamais dû servir à masquer les épreuves subies depuis des dizaines d’années par le peuple palestinien, et à justifier la politique menée par Israël dans la partie occupée de la Palestine ?» L’antisémitisme n’est pas loin…
Siègent aussi dans cet organisme les historiens Pascal Ory et Jean-Noël Jeanneney, que l’on ne connaissait pourtant pas comme de dangereux suppôts de l’extrême droite, le second ayant même présidé la Mission du Bicentenaire de la Révolution française. Le maurrassisme exerce ses ravages partout !
Venant après le renoncement de Gallimard à rééditer les écrits sulfureux de Céline et le refus des grandes maisons d’édition de publier les mémoires de Jean-Marie Le Pen, il semblerait que dans notre belle démocratie l’intelligence soit de plus en plus surveillée. Dans un livre publié en 1905, Charles Maurras s’inquiétait déjà de son avenir…
Eric Letty
Minute n°2857 du 31 janvier 2018