L’heure des loups par le renoncement des agneaux

L’heure est à la méfiance. Ici, les loups sont ces opportunistes injectant leur ambitions personnelles dans la cacophonie politique, des actions autoproclamées nécessaires. Château-Jobert, dans son livre La Confrontation Révolution-Contrerévolution, donne une idée très précise du comportement à adopter à notre époque. Bonne lecture, et préparons-nous.

Lu dans L’homme nouveau :

Élections ; les loups sont de retour

Les grands changements dévoilent souvent les tempéraments. Ce qui fut vrai lors de la Révolution française, l’est encore aujourd’hui. Ceux qui semblent être des hommes de bien peuvent se révéler de véritables loups… Attention aux apparences trompeuses !

Les chocs successifs qui frappent notre temps, ont agi comme un révélateur sur les hommes : les élites lisses d’hier, brusquement rejetées par les masses, sont retournées silencieusement au néant d’où elles étaient issues. Cette ploutocratie opportuniste, qui se maintenait jusqu’à présent par l’industrie du mensonge et l’élimination ciblée des créatifs, sera bientôt engloutie.

Autour de ces illusionnistes sans public, sont apparus des loups.

En quelques mois, des dominants, forgés dans un nouveau métal, ont envahi l’espace public. Comment l’expliquer ? En période de troubles, les hiérarchies du temps de paix laissent brutalement place à l’atomisation des individus. Le chaos permet alors aux meneurs de se hisser au pouvoir. La Révolution française fournit un exemple frappant de cette évolution : les maîtres d’hier ont été relégués en raison de leur inadaptation.

Quant aux dominants surgis de nulle part, après avoir erré le ventre creux, ils ne doivent le rétablissement de leur rang qu’ à la restauration des hiérarchies sauvages. Les loups sont aujourd’hui de retour mais personne ne soupçonne encore leur existence.

L’irruption des bêtes parmi les hommes a été admirablement peinte par Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord qui écrit dans ses Mémoires :

« Oublierai-je Maximilien Robespierre, chat-tigre, hyène parfumée, qui, la Convention venue n’aurait voulu boire le sang qu’il répandait que dans une coupe d’or. À l’Assemblée constituante, sa bonne tenue, sa politesse bourgeoise par trop calquée sur les règles de la civilité puérile et honnête, sa modération apparente lui firent des partisans qu’augmenta son état d’hostilité contre le Roi et la Reine ; poudré, pincé, pommadé, frisé, tiré à quatre épingles, on ne le surprenait jamais en laisser-aller, mais en cérémonie ; le plus complimenteur, il était aussi le plus verbeux parmi nous. Mais quelle différence entre le Robespierre de 1789 et celui de 1793 ? Il faut l’avoir vu pour s’en faire une idée. À la première de ces époques c’était un homme de bien, mais exalté ; à la seconde, ce fut un monstre ».

En quatre ans, les manières presque courtoises de Maximilien Robespierre se sont effacées pour laisser apparaître un carnassier. Mais celui-ci n’est point seul, il est entouré par d’autres bêtes qui chassent en meutes, guidés par les loups dominants qui assurent leur sécurité.

L’expérience de la Révolution

De ce point de vue, l’expérience française de la Révolution se présente comme un observatoire unique au travers duquel la violence amène une recomposition autour des hiérarchies primitives.

Comme toute crise, la Révolution agit à la manière d’un tamis sur les caractères : reléguant rapidement les personnalités sanguines des courtisans d’Ancien Régime, ou les personnalités apathiques comme celle de Louis XVI, le chaos propulse les colériques qui, comme Danton, manifestent une soif continuelle de changement.

Ces colériques représentent le principe actif de la Révolution. Face à eux, un sentimental comme Robespierre, paralysé par l’indécision, n’a aucune chance.

Mais après la tourmente, ce sont finalement les personnalités passionnées qui se hissent au pouvoir. La recomposition humaine issue de la violence a par conséquent favorisé les dominants.

Émotifs, ils sont à même de sentir la foule et de l’ électriser.

Actifs, ils multiplient les initiatives afin de lutter contre la tentation physiologique du repli sur soi.

Secondaires, ils s’abstiennent de décisions ne visant qu’un résultat immédiat.

Ces dominants prennent rapidement la tête de petits groupes humains, sur le modèle des loups, organisés en meutes rivales.

Si l’on examine la hiérarchie interne à chaque meute, il en ressort que le nouvel ordre a bouleversé celui qui régnait en temps de paix.

Ces réflexions historiques sont d’une actualité particulière en un temps où il s’avère précieux d’identifier les élites qui se révéleront impuissantes en temps de troubles, les déstabilisateurs qui souhaiteront prospérer sur le désordre, et surtout les personnalités qui seront aptes à gouverner demain.

Les élections ne sont-elles pas un affrontement de personnalités davantage que d’idées ? Équilibre aussi artificiel que fugace, le temps de paix se présente en effet comme une anomalie passagère propulsant au sommet les maîtres de la tranquillité. Même s’ils se concurrencent mutuellement, ces maîtres s’avèrent incapables de rivaliser avec l’adversité. Dès lors en effet que les menaces se conjuguent, leur pouvoir s’effondre. Mais après tout, que géraient ces élites sinon la rente d’une guerre perpétuellement différée ?

À peine ces aristocrates ont-ils disparu que surgit la farandole des colériques, équipage de fous boutant le feu à mille mèches révolutionnaires pour le simple plaisir de jouir de leurs multiples explosions.

Une fois la poudre épuisée et la dévastation complète, les rescapés peuvent surgir des égouts, les yeux hagards en quête de pitance et de sécurité.

C’est ainsi que se reconstituent patiemment les meutes de loups conformément à la hiérarchie invisible des caractères naturels : au sommet les dominants des temps de troubles, c’est-à-dire les plus courageux.

Derrière eux, les artistes et les penseurs chez lesquels ils puisent l’énergie en la mettant au service de l’action.

Plus loin encore, les relégués en raison de leur goût trop ardent pour les plaisirs. Ils étaient les maîtres hier, les voici retournés à leur néant.

Quant aux loups, ils sont aujourd’hui de retour mais peu ont vu poindre leurs oreilles. Nous sentirons leurs mâchoires demain.

THOMAS FLICHY DE LA NEUVILLE,

MEMBRE DU CENTRE ROLAND MOUSNIER — CNRS

UNIVERSITÉ PARIS IV-SORBONNE.

L’homme nouveau, n°1633, 25 février 2017

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