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Les mythes de la guerre d’Espagne – Entretien avec Pio Moa

ByVincent Chabrol

Avr 23, 2022
Les mythes de la guerre d’Espagne – Entretien avec Pio Moa

Lectures Françaises : Pio Moa, vous avez publié en 2003 un ouvrage qui a fait sensation et a bouleversé le champ historiographique : Los mitos de la guerra civil (Les Mythes de la guerre civile), aujourd’hui publié en français sous le titre : Les Mythes de la guerre d’Espagne, 1936-1939 [1]. Pour le public français, gavé et anesthésié par la culture de gauche dominante, et tout particulièrement à ce sujet, la guerre civile espagnole commence à l’été 1936, avec l’agression perpétrée contre la jeune et vaillante République – et son gouvernement de Front populaire – par une armée avide de pouvoir et de revanche, et complice intéressée des grands possédants. À rebours, peut-on affirmer que le soulèvement de juillet 1936 est essentiellement une réaction de survie face à un processus révolutionnaire et terroriste préexistant, en passe de bolchéviser l’Espagne ?

Pio Moa : Le Front populaire était une alliance de partis pro-soviétiques ou « soviétisants » (PCE [2] et PSOE [3]), de partis séparatistes et de partis bourgeois sympathisants des premiers. Les partis de gauche et séparatistes ont perdu les élections de novembre 1933. Ils se sont déclarés alors « sur le pied de guerre » et ont déclenché cette guerre en octobre 1934. Une fois défaits, mais pas désarticulés, ils se sont regroupés en 1936 dans le Front populaire, et ont déclaré qu’ils n’admettraient pas une victoire de la droite. Ils ont ensuite falsifié de façon démontrable et démontrée les élections de février [4]. Il y a donc eu après l’insurrection de 1934 un coup d’État électoral en 1936. Ils ont ensuite détruit la légalité républicaine et imposé un régime de terreur, avec quelque 300 morts en cinq mois et des centaines d’incendies et de destructions d’églises, de registres de propriété, de journaux, de sièges de partis de droite, etc. L’Espagne était alors en réel danger de désintégration en tant que nation et menacée de « soviétisation ». Il y eut heureusement une réaction, non pas de l’armée, mais seulement de la moitié de celle-ci, soutenue par une grande partie du peuple, et, finalement, le Front populaire a été vaincu.

L. F. : Toujours vu de France, les deux camps qui s’affrontent lors de ce conflit sans merci sont l’un et l’autre homogènes. Or on a pu déjà découvrir, par exemple à la lecture de votre confrère et préfacier Arnaud Imatz, que le camp « national » (et non pas nationaliste) rassemble des courants politiques non réductibles au seul « fascisme » et, au regard entre autres des témoignages de Simone Weil ou de George Orwell, que le camp « républicain » a été traversé par des conflits internes particulièrement violents. Qui peut cependant comprendre, encore une fois vu de France, que des républicains de la première heure, et pas des moindres, aient pu être considérés par les tenants du Front populaire, au même titre que les monarchistes ou les phalangistes, comme des ennemis à abattre ?

P. M. : Selon la mythologie du Front populaire, l’histoire de l’Espagne était néfaste, réactionnaire, marquée par l’obscurantisme et le fanatisme, et l’Église était la principale responsable de ces maux. Tous étaient d’accord pour éradiquer l’Église et la culture catholique, et la guerre leur a donné l’occasion de le faire de manière radicale. C’était pourtant presque le seul point sur lequel ils s’accordaient. Sur tout le reste, chaque parti avait des idées et des objectifs différents, voire opposés ou absurdes. Il s’agissait, en outre, de partis dont les dirigeants avaient une qualité personnelle et politique faible et défaillante, et qui d’ailleurs seuls auraient perdu la guerre en quelques mois. Mais le parti communiste était tout autre chose. Inspiré directement par Moscou, il disposait d’une véritable stratégie politique et militaire, et de l’aide directe de Staline. Il a dû imposer l’ordre avec une grande dureté à ses capricieux alliés anarchistes, bourgeois ou socialistes. Il n’a pas entièrement réussi, mais c’est ce parti qui a permis de poursuivre la guerre pendant près de trois ans. Le PCE était un petit parti au début de la guerre, mais pendant la guerre il est devenu le plus fort.

Quant au camp national, il était surtout composé de quatre partis : deux partis monarchistes (traditionaliste et libéral), un parti plus directement lié à l’épiscopat [la Confédération espagnole des droites autonomes (CEDA) qui s’est dissoute, mais qui a continué à être influente pendant et après la guerre] et la Phalange, le parti le plus proche du « fascisme » sans être pour autant entièrement fasciste. Ces quatre partis ou « familles politiques » ont caractérisé le franquisme, qui n’était pas véritablement un régime à parti unique, comme on le dit souvent. Il y avait de forts désaccords entre eux, comme au sein du Front populaire, mais Franco a su les canaliser pour qu’ils ne se détruisent pas mutuellement. Franco se distinguait par ses remarquables qualités de militaire mais aussi et surtout d’homme politique.  (lire la suite dans notre numéro…)

Propos recueillis par Vincent CHABROL

[1] – Éditions de l’Artilleur, mars 2022. Introduction d’Arnaud Imatz.

[2] – PCE : Parti communiste d’Espagne.

[3] – PSOE : Parti socialiste ouvrier espagnol.

[4] – Cf. Roberto Villa García et Manuel Álvarez Tardío, 1936, Fraude y violencia en las elecciones del Fronte popular, Éd. Espasa, 2017.

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