Souvent qualifié de président des villes, Emmanuel Macron a passé une journée au 55e Salon international de l’Agriculture qui s’est tenu du 24 février au 4 mars dernier. Ses quelques promesses suffiront-elles à sauver les 452 000 exploitations agricoles restantes ? Seront-elles tenues ?
Il y va de l’avenir de l’agriculture française et de l’autosuffisance alimentaire de notre pays. Analyse d’un agriculteur, homme de terrain…
Lu pour vous dans L’Homme Nouveau.
Le grand rendez-vous agricomédiatique annuel vient de fermer ses portes au parc des expositions de Paris. Succès populaire incontestable, la plus grande ferme de France a vu 672 570 visiteurs arpenter ses allées, 40 «visites officielles» traverser ses stands et 68 délégations étrangères s’y déplacer. Souvent qualifié de président des riches ou de président des villes, Emmanuel Macron aura passé une journée à expliquer et défendre ses choix, en matière de Politique Agricole Commune (PAC), de traité de libre-échange, d’interdiction du glyphosate ou de gestion des populations de loups. Véhémentement interpellé par-ci, bruyamment sifflé par-là, le Président de la République a pu mesurer le fossé qui le séparait d’un monde qui n’est en réalité pas le sien.
Faux discours
Depuis longtemps ses détracteurs lui reprochent d’être coupé du monde rural. Ils l’accusent d’être incapable de comprendre le sentiment d’abandon qui est le leur, persuadés qu’il les méprise et les ignore. «Je sais l’importance qu’a notre agriculture, e sais les attentes, les angoisses et la souffrance sur le terrain. Je suis convaincu qu’il y a un avenir certain pour notre agriculture mais à inventer ensemble »: a-t-il assuré.
Saute pourtant aux yeux une réalité plus pragmatique, celle d’une ruralité réduite à être la variable d’ajustement d’un pouvoir qui n’a plus les moyens de sa politique. La réforme de la carte scolaire en est une illustration emblématique. Faute d’un nombre d’enseignants suffisant pour accompagner la mesure phare du ministre de l’Éducation nationale dont sont bénéficiaires les établissements scolaires en zone de réseaux d’éducation priori-taire, ce sont les écoles rurales qui paient l’addition.
Le sentiment d’injustice de cette mesure s’ajoute à une réalité cruelle : celle de l’abandon des territoires ruraux en cours depuis des décennies, au profit exclusif des «quartiers difficiles». Et pourtant la France dispose d’atouts précieux. La diversité de ses produits exposés dans les stands des 13 régions françaises, la qualité de ses filières défendue aux stands des inter-professions bovines, porcines ou encore viticoles lui assurent une renommée mondiale.
Malheureusement les choix commerciaux de l’Union Européenne menacent gravement ces efforts, livrant nos produits à une concurrence anarchique et mettant en péril l’équilibre économique de notre modèle agricole ainsi que la sécurité alimentaire des consommateurs. Sacrifiés sur l’autel du libre-échangisme, 40 % des agriculteurs survivent aujourd’hui avec 350 € par mois, travaillant souvent dix heures par jour. Alors que, entrante ans, 100 milliards ont été déversés dans les banlieues françaises, le nombre d’exploitations agricoles a fondu de 1,4 million à 452 000. En 2016, le nombre de défaillances économiques a augmenté de 4 % et, en 2017 de 6,7 %.
L’UE intraitable
Le monde agricole s’inquiète. L’UE souhaite diminuer le budget de la PAC de 10 % d’ici 2020. La révision de la carte des zones agricoles défavorisées, qui va faire sortir 1 380 communes du dispositif ouvrant droit à une indemnité compensatoire de handicap naturel, a suscité de nombreuses manifestations dans toute la France ces derniers jours.
Alors, chemin faisant, entre deux stands du Hall 1 dédié aux racés bovines, le président des villes a tenté de séduire ses interlocuteurs et a égrené quelques promesses à ceux des champs. Ce sont 10 milliards par an pour l’agriculture pendant cinq ans, des aides à l’installation, l’assurance d’exigences sanitaires vis-à-vis des produits importés dans le cadre des traités de libre-échange, le soutien aux producteurs lors des négociations avec les industriels pour une juste répartition de la valeur ajoutée, ainsi que la promesse de « verrous réglementaires » sur les achats de terres agricoles par des étrangers en France. Si ces mesures ne voient pas le jour, le 55° Salon international de l’Agriculture ne restera que la vitrine trop belle d’un monde sacrifié. Il est encore temps d’éviter cet immense gâchis car la France est autosuffisante dans de nombreuses productions et si nous protégions le marché français, nous arriverions à valoriser nos produits et préserver nos producteurs.
Le monde des campagnes a beau être démographiquement minoritaire, il peut être politiquement destructeur pour le Président, y compris pour conserver son électorat urbain. Le Président de la République ne l’ignore pas et s’évertue à envoyer des signaux d’attention au monde rural… Une simple visite marathon au Salon de l’agriculture suffira-t-elle ?
Loup MAUTIN
L’Homme Nouveau n°1659 du 17 mars 2018.
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