Poursuivant en ce deuxième volet notre enquête sur le catholicisme social, nous donnons la parole à Geneviève Gavignaud-Fontaine. Historienne, spécialiste des sociétés rurales, auteur d’une quinzaine d’ouvrages, elle a rencontré au cours de ses travaux l’enseignement social catholique sur lequel elle s’est penchée avec passion et intérêt. Elle ne cesse depuis lors d’en montrer la pertinence au regard des graves questions qui agitent notre monde au plan économique et social.
Lu pour vous dans L’Homme Nouveau.
L’itinéraire du professeur Geneviève Gavignaud-Fontaine est révélateur d’un souci de vérité. Agrégée d’Histoire, elle consacre sa thèse pour le Doctorat d’État à la propriété en Roussillon où elle analyse les effets de la conjoncture sur les structures. D’un séjour aux États-Unis, elle retire le concept de « révolution rurale » par l’étude de la dynamique des campagnes.
Son ouvrage, Propriété et société rurale en Europe (2005), confronte les doctrines politiques et économiques à la réalité sociale du monde rural, après les chocs de la Révolution française, de la révolution industrielle et de la crise mondiale des années 1920. Elle se penche sur la «petite propriété», qui peut encore être appelée « propriété familiale ». Sa connaissance de l’histoire du Roussillon et ses études sur la propriété privée dans cette région lui permettent d’y faire ressortir le prolongement d’une société pré-capitaliste jusqu’à la deuxième moitié du XX’ siècle. À peine hier !
Elle parvient aussi à une autre conclusion qui lui est directement liée : « L’histoire de la propriété conduit à une histoire totale, interactive dans laquelle, dès lors que la seule loi de l’offre et de la demande règle les activités, les hommes lient leur sort à l’action de la conjoncture sur les structures. Ils apparaissent alors objets d’un fonctionnement structuralo-conjoncturel ; cependant, ils n’en restent pas moins sujets responsables, spontanément par leur propre action organisatrice et défensive, et par l’intermédiaire des États successifs en charge du bien commun, de leur évolution.
Ce que le magistère catholique a rappelé avec et après Rerum novarum. Aux antipodes de la lutte des classes prônées par les socialistes marxistes, la mise en exergue, par l’encyclique, de l’organisation professionnelle, du rôle de l’État, de la diffusion de la propriété familiale trouvait son écho sur le terrain. » (Propriété et société rurale en Europe, p. 278).
L’étude du terrain et de la réalité historique a donc permis à cette universitaire de remonter à l’enseignement de l’Église en matière sociale. Un parcours exemplaire, de ce point de vue, puisque débarrassé des scories des a priori idéologiques et soucieux au contraire de saisir au mieux la réalité telle que la révèlent l’histoire et la concordance qui s’y rencontre avec la doctrine de l’Église.
En 2009, le professeur Gavignaud-Fontaine publie un nouvel ouvrage : Considérations économiques chrétiennes de saint Paul aux temps actuels. On serait tenté d’y voir seulement une histoire du catholicisme social et de la doctrine sociale de l’Église. Si l’auteur réinscrit cette histoire dans le temps long, elle s’emploie ce faisant à en montrer la pertinence, la cohérence et la richesse. Saint Thomas y est à l’honneur, ce qui surprendra seulement ceux qui ignorent la richesse et l’actualité de son enseignement en matière morale et poli-tique, mais aussi que le renouveau du magistère social initiée par le pape
«L’étude du terrain et de la réalité historique a donc permis à cette universitaire de remonter à l’enseignement de l’Église en matière sociale.»
Léon XIII s’inscrit dans un programme de reconquête largement appuyé sur la remise en vigueur de l’enseignement de l’Aquinate. Sur sa lancée, Geneviève Gavignaud-Fontaine publie en 2011 Les Catholiques et l’économie-sociale en France, puis deux ans plus tard, Marchés sans justice, ruines sociales. Refonder les libertés économiques sur la justice et, enfin l’an dernier, Justice dans les relations économiques et justice sociale. Sources morales et ruptures historiques.
Inconnu très souvent des catholiques, souvent tentés par des solutions séculières contraires dans le détail et parfois dans l’ensemble à la doctrine de l’Église en la matière, le corpus social catholique ne se limite pas à quelques slogans à la mode ou à des thématiques, justes mais généralement isolées dans l’instant historique. Un corps privé d’un membre ou de ce qui en fonde l’unité, tombe dans le déséquilibre.
La propriété privée est un principe défendu par l’Église, mais il trouve son équilibre avec celui de la destination universelle des biens et les deux doivent s’inscrire dans la perspective du bien commun. L’écologie défendue par l’Église n’est pas le tout de sa doctrine qui trouve ses fondements dans l’Évangile et dans la doctrine morale si parfaitement synthétisée dans son unité et son articulation par saint Thomas d’Aquin. Bien que cela ne soit pas directement son objet, c’est aussi ce que nous rappelle l’œuvre de Geneviève Gavignaud-Fontaine, en même temps que ce souci du réel non idéologique pour plus de justice sociale. C’est pourquoi nous avons voulu l’entendre.
Philippe MAXENCE
L’Homme Nouveau n°1659 du 17 mars 2018.