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La mécanisation de l’esprit : cybernétique, Intelligence artificielle, transhumanisme – Entretien avec Jacques Carbou

La mécanisation de l’esprit : cybernétique, Intelligence artificielle, transhumanisme – Entretien avec Jacques Carbou

Jacques Carbou, docteur en philosophie politique, a étudié la philosophie à Nancy où il a suivi les cours de Raymond Ruyer. Il a continué ses études à Paris et à Montréal, au Québec. Après de longues années passées dans le secteur du privé, comme consultant dans un cabinet-conseil puis directeur des ressources humaines, il a enseigné la Logique à l’Université catholique Santa Rosa à Caracas, au Venezuela, puis la philosophie de l’économie à l’Université Santo Tomas de Bogota, en Colombie. Aux Éditions du Verbe Haut, il a publié La Critique sociale de Raymond Ruyer, en 2021, et La Mécanisation de l’esprit en 2022.

Sylvain Durain : Votre dernier livre est plus qu’une simple critique du transhumanisme ; il dresse un lien jusqu’ici méconnu entre cybernétique, IA (Intelligence artificielle) et transhumanisme. Comment êtes-vous arrivé à cette découverte ?

Jacques Carbou : Mon projet initial voulait proposer une analyse de la critique des postulats et présupposés de la cybernétique par Raymond Ruyer à partir de son livre La Cybernétique et l’origine de l’information, publié en 1954 et de l’édition augmentée en 1968 et aussi les nombreux articles sur ce sujet parus dans différentes revues spécialisées. La documentation disponible était donc abondante. Ruyer faisait une distinction entre les applications et les postulats de la cybernétique. Parmi les résultats utiles de cette nouvelle « science », il y avait l’idée de feedback ou rétroaction ; l’idée d’homéostasie appliquée aux organismes vivants et aux machines ; les servomécanismes qui expliquaient la notion de contrôle des machines grâce aux développements de la théorie mathématique de l’information et l’importance du concept d’entropie. Pourtant, Ruyer écrivait que la cybernétique avait oublié d’où venait l’information. Le développement des techniques – la construction des machines – est des activités « encadrées » qui supposent un cerveau humain, « un encadrant » à l’origine de la conception de ces machines. De même pour l’IA : derrière les machines à traitement de l’information que sont les ordinateurs, il y a des ingénieurs, des techniciens qui les programment. Il est d’usage courant de distinguer le hardware – le matériel – du software, les logiciels qui permettent à la machine de fonctionner.

Les livres sur l’IA et le transhumanisme que j’ai pu lire, m’ont permis de découvrir que la critique des postulats et présupposés de la cybernétique par Ruyer, restait pertinente et actuelle. Les liens – le fil rouge – qui les unissent reposent sur les mécanismes et le matérialisme qu’ils présupposent. Les machines cybernétiques, selon les cybernéticiens, obéissent à des lois physiques qui rendent compte des mécanismes ; les tenants de l’IA réduisent le fonctionnement du cerveau à du calcul logique qui permet de s’en tenir à des lois physiques observables. Les transhumanistes franchissent un pas supplémentaire en assimilant le corps humain à une vaste machine réduite à un ensemble de mécanismes. Nous avons été préparés à ce réductionnisme scientifique par le scientisme du XIXe siècle. Mais déjà, à la fin du XVIIIe siècle, certains auteurs comparaient l’univers connu, à cette époque, à une vaste horloge qui fonctionnait selon des mécanismes horlogers ; Voltaire reconnaissait encore la nécessité d’un « grand horloger ». Mais à partir du moment où les scientistes considèrent que cette hypothèse est inutile, l’univers se réduit à des déterminismes et des nécessités, selon le titre du livre de Jacques Monod. On connaît la réponse de Laplace venu expliquer son Système du monde à Napoléon qui lui demandait :

– « Et Dieu dans tout cela ? »

– « Dieu est une hypothèse dont je n’ai pas besoin ! ».

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