De l’utilité des propagandistes de l’UNEF
Les réflexes révolutionnaires qui demeurent profondément ancrés dans les organismes se présentant théoriquement comme des syndicats au service de leurs adhérents, ont pleinement joué pour faire échouer le projet de la Loi travail. Une loi voulue par un gouvernement socialiste cumulant la pusillanimité devant les interdits syndicaux et, à l’instar de ses prédécesseurs, une véritable terreur face aux manifestations estudiantines. Une loi tentant de simplifier quelques pages du droit du travail, pour encourager l’embauche dans les PME. La menace a suffi à nos « hommes d’Etat » pour embrayer une marche arrière savante et combinée de grand style.
Efficacité des pratiques anciennes
Le rôle joué par les syndicats étudiants, leurs discours, mots d’ordre et manifestations nous ont ramenés non seulement dix ans en arrière (au CPE), mais davantage aux années 60. Le plus instructif dans cette affaire, est la confirmation publique que les réseaux marxistes-léninistes, tendance trotskyste, ont pu être « réveillés » au gouvernement, au Parlement, dans les facultés, les lycées, les syndicats, avant même que la grosse presse ne le reconnaisse. Parmi les multiples chevilles ouvrières que cela suppose, nous retrouvons en première ligne non seulement des « jeunes » lycéens (UNL, FIDL…), des étudiants, des membres de l’Éducation nationale, mais ce que l’on peut appeler l’« appareil » de l’UNEF (Union nationale des étudiants de France) qui assume parfaitement ses fonctions de pépinière officielle du PS, en liaisons étroites avec l’autre « couveuse» des futurs « alfas » du parti : le Mouvement des jeunes socialistes-MJS. Ce dernier dispense des formations plus politiques, quand l’UNEF forme plus concrètement pour les réunions, prises de parole, slogans. En se rapportant aux anciennes nomenclatures du PC, on pourrait dire que l’UNEF formait des agitateurs (qui appliquent les règles de la pédagogie collective à une masse d’auditeurs) et le MJS préparerait plutôt des propagandistes s’adressant à des auditoires plus restreints. D’où l’intérêt de la double formation pour les ambitieux visant à faire carrière en politique.
Une fois les études terminées, les adhérents casés, le syndicat apporte des services après-vente fort appréciés en s’appuyant sur ceux des anciens militants devenus ministres ou hauts responsables du PS dont ils ont l’oreille. Cette année, trois personnalités ont joué un rôle de premier plan dans les manifestations contre les projets du gouvernement Hollande-Valls. Ils méritent quelques lignes : Caroline De Haas, Arnauld Champremier-Trigano et William Martinet. Il leur a suffi d’imiter ce qu’avaient fait leurs aînés et d’appliquer quelques règles. Pourquoi changer un chantage qui marche ?
Comme en 68, des enfants de la bourgeoisie
Caroline De Haas est née en 1980 dans une famille de médecins : sa mère est gynécologue, son père président de la Fédération française des maisons et pôles de santé. Elle fit des études hésitantes et obtint en 2008 (!) une maîtrise d’histoire contemporaine. Mais il apparut très vite qu’elle préférait poursuivre dans la voie du militantisme qu’elle avait pratiqué dès le lycée et en faculté. Les noms des organismes qu’elle fréquenta, donnent une bonne esquisse sur les évolutions de ses positions : Amnesty International, Petits Frères des pauvres, Scouts unitaires de France, UNEF. Elle prit du « grade » dans ce dernier syndicat de gauche rouge foncé et, en 2006, en devint secrétaire générale (soit le n° 3). Elle fit donc ses premières armes dans le mouvement contre le CPE. Elle fut aussi attirée par le « combat » féministe et participa à la fondation d’un magazine qui deviendra un mouvement « Osez le féminisme », soutenu par le Planning familial et le PC. Elle a bien saisi les capacités destructrices de ce choix, en parlant du féminisme comme un « engagement… complètement subversif » (site Psychologies).
Ensuite elle créa et dirigea Egaé, une société de conseil en égalité professionnelle (sic). Mais adhérente du PS, elle avait été repérée pour son bagout à toute(s) épreuve(s). Aussi devint-elle conseillère de Najat Vallaud-Belkacem quand celle-ci prit, en 2012, le poste de ministre des Droits de la femme. En 2014, Caroline De Haas quitta le PS dont elle critiquait la mollesse dans les mesures de gauche. Cette année, elle a lancé la pétition « Primaire à gauche » qui réclame la mise en place de cette structure pour la présidentielle. A noter que cette féministe s’est opposée aux « anciennes » du mouvement en refusant de manifester en faveur des femmes allemandes ayant subi des attaques de nature sexuelle, à Cologne et ailleurs, de la part d’exogènes. Elle prit même la défense des migrants ! Elle recrute les adhésions sur Facebook.
Mais, revenons quelques semaines auparavant : Mme De Haas s’était investie immédiatement dans la lutte contre la loi El Khomri sur le travail. Elle rencontra les anciens et actuels meneurs de l’UNEF dont Martinet sur la tactique à utiliser. Elle lança la pétition pour le retrait de la loi (« Loi travail : non merci ! »), encouragea à manifester les 9, 17, 24, 31 mars, etc.
Arnauld Champremier-Trigano est plus âgé puisque né en 1971 dans une famille de la bourgeoisie fort aisée. Il fit des études littéraires puis passa à Sciences-Po Toulouse. Lui aussi milita à l’extrême gauche et il devint vice-président de l’UNEF-ID de 1994 à 1997. Il fut donc au cœur des manifestations contre la réforme des retraites préparée par le Premier ministre Alain Juppé, en 1995. Il trouva ensuite facilement des postes de journaliste dans l’audiovisuel, surtout à la télévision. Aux côtés de Michel Field, sur Paris Première, puis sur RTL, Canal+, i-Télé… Il est fils d’André Trigano et neveu de Gilbert que les media appellent les fondateurs du Club Méditerranée. Arnauld a tenu à ajouter le nom de sa mère à celui de son père. Il vit en concubinage avec la fille de Wolinski, un des caricaturistes de Charlie Hebdo assassinés lors de l’attentat islamiste de janvier 2015.
A. Champremier-Trigano quitta le PS en 2002 pour se rapprocher de Jean-Luc Mélenchon dont il devint le directeur de la communication lors de la campagne présidentielle de 2012 et dont il reste proche. Ce qui ne l’a pas empêché, l’an dernier, d’être le conseiller d’Emmanuel Cosse (EELV) pour la campagne des régionales. Il a donc soutenu la démarche de Mme De Haas pour la pétition hostile à la loi El Khomri-Valls. Il a dû donner des conseils pour l’organisation des dizaines d’AG dans les universités. Il s’est félicité de constater « qu’il y a un peuple de gauche toujours vivant ».
Ils ont été appuyés par un autre ancien président de l’UNEF de 1994 à 1998, Pouria Amirshahi, député des Français de l’étranger qui, lui aussi, a démissionné du PS. Tous espèrent en un mouvement plus vaste avec une grève des syndicats des transports (en plus de celle des étudiants). Ajoutons également le nom de Bruno Julliard, ex-président de l’UNEF de 2005 à 2007. De là à y voir une organisation de jeunesse manipulée par des politiques, il n’y a qu’un pas que certains ont franchi. Des mal-pensants sans doute…
L’actuel président de l’UNEF, William Martinet, est né en 1988 dans une famille de petite bourgeoisie. Il a obtenu le baccalauréat en 2006 avant d’être inscrit à l’université Versailles-Saint-Quentin-en Yvelines. Il met sur le compte du temps passé à militer contre « l’ogre capitaliste », l’extrême droite, l’homophobie… pour expliquer l’obtention de sa licence de biologie à 27 ans ! Du reste il a été critiqué pour son âge – de vieil étudiant – par des militants qui souhaitaient le voir quitter son poste. Quoi qu’il en soit, la pétition au million (?) de signatures (bien que sans contrôle) a poussé le Premier ministre à le recevoir à Matignon. William avait sa revanche. Il n’y a pas que les enfants de « bourges » qui peuvent militer à gauche et devenir des professionnels de la politique. Celle-ci peut ouvrir des portes et des situations plus vite que des années à bûcher des examens et concours incertains.
Complément de la rédaction :
L’UNEF (Union nationale des étudiants de France) est née, en 1907, de la coordination des Associations générales d’étudiants qui commencèrent à se former au sortir de la guerre de 1870.
Dans son importante étude Enseignement et politique en France de la Révolution à nos jours (2 tomes, Éd. Godefroy de Bouillon, 2010 [t. 1] et 2011 [t. 2]), Germain Sicard montre l’évolution politique de ce syndicat étudiant, notamment depuis la période de l’Occupation jusqu’à mai 1968. Il serait trop long de citer toutes les pages qui y sont consacrées dans le deuxième volume. Quelques extraits nous suffiront :
« L’UNEF avait survécu, durant les années de guerre et d’occupation, pour maintenir ses œuvres, en tenant éventuellement deux fers au feu : en 1943, son congrès envoie une délégation à Vichy pour saluer le maréchal Pétain et un message à Londres pour expliquer que l’UNEF n’avait rien de commun avec Vichy. (…)
« Le Congrès de Grenoble de l’UNEF (1946) rompt avec la tradition d’avant-guerre, apolitique et “ corporatiste ” ; il adopte un texte fondateur du nouveau syndicalisme étudiant, associant la défense des intérêts corporatifs de l’étudiant, défini comme jeune travailleur, à la défense de la vérité et de la liberté contre toute oppression, ce qui, pour l’intellectuel est “ la mission la plus sacrée ”. (…)
« Après l’Épuration (…) les cellules communistes se multiplient (…) L’UNEF résiste cependant aux offensives communistes (…)
« Lors de la guerre d’Indochine (…) la position de l’UNEF ne manque pas d’incertitudes. Les uns approuveront bruyamment la politique de P. Mendès-France (…) D’autres l’accusent de “ brader ” l’Empire, de faire le jeu des communistes. (…)
« De 1950 à 1956, la présidence de l’UNEF appartient à des gaullistes, ainsi que de nombreuses A.G. de province (…) La minorité de gauche de l’UNEF redevient majorité en juillet 1956. (…)
« Les positions de l’UNEF : ralliement à partir de 1960 à toutes les manifestations “ pour une solution négociée en Algérie ”, organisation le 27 octobre 1960 avec les centrales syndicales d’un appel en faveur de la paix négociée et pour l’autodétermination, rencontrent celles du Chef de l’État (…)
« En 1959-60, l’UNEF est à l’apogée de son influence mais ses engagements politiques de plus en plus radicaux suscitent des oppositions ; dix-sept A.G. quittent l’UNEF et de nombreux étudiants s’engagent, de diverses manières pour “ l’Algérie Française ”. Le 28 juin 1961, plusieurs associations d’étudiants créent à Montpellier la Fédération Nationale des Étudiants de France (…) (Ils) reprochent à l’UNEF sa marxisation, (et) ses engagements antipatriotiques… ».