De la Révélation à l’apostasie – Entretien avec Alain Pascal

De la Révélation à l’apostasie – Entretien avec Alain Pascal

Sylvain Durain : Le premier thème du deuxième tome de votre Intelligence du christianisme [1] débute avec un point important : l’intelligence du judaïsme. De quelle nature est cette intelligence ?

Alain Pascal : Le judaïsme est la première religion qui affirme un Dieu créateur hors cosmos, c’est-à-dire qui rompt avec les cultes cosmiques qui se sont petit à petit mis en place depuis les temps primitifs jusqu’aux civilisations païennes (c’était l’objet du premier tome).

L’intelligence du judaïsme est dans la Genèse, qui est le texte fondateur de la religion de la Bible et qui est due aux juifs. La Genèse est commune au judaïsme et au christianisme, mais l’interprétation diffère du fait de l’Incarnation, qui donne son sens au texte.

Puisque le judaïsme refuse l’Incarnation, il n’y a pas de judéo-christianisme en matière religieuse, par contre les deux religions ont la même métaphysique, celle dite du dualisme de l’Être, c’est-à-dire la différenciation entre l’Être de Dieu et l’être du monde.

Dieu étant un créateur ex nihilo, l’Être créé n’est pas son corps, donc on sort du panthéisme et de toutes les religions cosmiques.

Il y a ainsi une intelligence de la Genèse, qui est une véritable nouveauté en histoire des religions, mais également en métaphysique. Et les conséquences philosophiques et sociétales sont importantes. En effet, Dieu crée une nature qui est bonne et il la confie à l’homme, qui est la plus belle créature, car « à son image ». Ce n’est pas par le corps, puisque Dieu n’est pas cosmique, donc c’est par l’âme. Ainsi, l’homme intervient librement dans l’histoire, c’est une nouveauté.

La Genèse marque le début de l’histoire – le temps a un commencement, donc n’est plus cyclique – et l’humanité devient responsable de ses actes. Elle doit respecter la création et les lois divines, cependant elle est libre de désobéir. On sort du fatum antique et des cycles des réincarnations des traditions orientales, c’est-à-dire aussi de la nécessité sacrificielle liée au passage du chaos au cosmos. C’est le bénéfice du dualisme de l’Être.

Dans le monisme et dans le temps cyclique, le cosmos naît d’un sacrifice, dans la Genèse, l’univers est créé par un Dieu qui aime l’homme, donc veut lui éviter le sacrifice.

S. D. : Pourriez-vous revenir un instant sur ce point fondamental : Abraham et la révolution du sacrificiel ?

A. P. : Dans les religions cosmiques, le sacrifice humain nourrissait la Terre-Mère pour que le cycle cosmique recommence. Il s’agissait principalement du sacrifice de jeunes filles vierges, mais pas uniquement, et, au Moyen-Orient, il était coutumier de sacrifier le fils aîné.

Quand Dieu demande à Abraham le sacrifice d’Isaac, Abraham n’est pas surpris, même si la demande est contradictoire avec l’annonce d’une lignée élue par Dieu. Abraham obéit parce qu’il est le premier à avoir la foi. Il ne comprend pas, donc la foi peut sembler irrationnelle, cependant il est récompensé. Un ange arrête son bras, donc la foi n’est pas irrationnelle, elle est seulement au-delà de la compréhension humaine.

Le péché originel était la désobéissance, la foi est confiance.

Et le bénéfice pour l’humanité est considérable. Un « bouc émissaire » est désigné, ce qui veut dire que le Dieu de la Bible ne se nourrit pas du sang humain.

C’est une révolution sur le simple plan anthropologique et elle était déjà annoncée par l’épisode de Caïn. Bien qu’il ait tué son frère, Dieu interdit la vengeance.

Le cycle des violences est interrompu, ce pour quoi un anthropologue comme Girard a évoqué une révolution du sacrificiel due à la Bible par rapport aux religions cosmiques.

Sur ce plan, le judaïsme est une première étape, un progrès, toutefois il manque au judaïsme la « rétribution individuelle », c’est-à-dire le salut offert à tous les humains et non simplement au « peuple élu », ce que seuls l’incarnation et le sacrifice du Fils rendent possible. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)

[1]De la Révélation à l’apostasie (Éditions du Verbe haut, mars 2023, 90 pages, 29 €).

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