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Corps et âme – Entretien avec Nicolas Zeller

Corps et âme. Entretien avec Nicolas Zeller

Colonel (er) Pierre Brière-Loth : Bonjour, Nicolas Zeller, je viens de terminer la lecture de votre livre qui m’a passionné [1]. Vous vous présentez comme un médecin militaire chez qui « ces deux états sont indissociables ». Comment conjuguez-vous ces deux vocations ?

Nicolas Zeller : C’est le service de mon pays qui définit le mieux cette conjugaison de deux métiers. Servir la santé de ceux qui nous défendent. Cela a toujours été articulé de la sorte dans mon esprit depuis mes premiers pas à l’École de santé à Lyon. Une sorte d’évidence.

Col. (er) P. B.-L. : Le sous-titre, Un médecin des Forces Spéciales témoigne, fait oublier le titre de votre ouvrage : Corps et âme. On s’attend à des récits de coups durs, dans la tradition des Forces spéciales, et à des actions médicales ou chirurgicales improbables, dans la lignée des Grauwin ou des Rondy à Dien Bien Phu. Mais cela, ce n’est que le contexte, l’arrière-plan, la toile de fond de votre livre. Alors pourquoi ce titre ?

N. Z. : L’articulation titre et sous-titre peut à posteriori surprendre comme vous le dites. Plusieurs réponses possibles, et toutes comportent une part de vérité. Il existe d’abord une réponse purement éditoriale. Il s’agit d’attirer un lecteur vers un livre dans un monde où, en deux clics et trois secondes, vous faites un choix très rapide sur des critères plutôt subjectifs. Dans la jungle des ouvrages disponibles, dans la masse des sorties littéraires parmi lesquelles le lecteur doit choisir, il faut bien attirer son attention. Même procédé sur la quatrième de couverture ou la couverture elle-même, et si nous nous attachons à trouver une cohérence entre tout cela, il convient aussi de donner envie. Ce sont des choses très sérieuses et sous la responsabilité de l’éditeur. « Corps et âme », et j’ai beaucoup de chance, porte le titre que j’ai soumis à mon éditeur. C’est déjà important car si le sous-titre peut paraître accrocheur, le titre est réellement en lien avec mon texte. « Corps et âme » est un essai plus qu’un témoignage à proprement parler. Un peu atypique certes et surtout très incarné et c’était une volonté initiale que je m’étais fixée et qui par chance a été partagée avec la maison d’édition. Sur la question du pourquoi ce titre, je dirai une chose : l’homme ne fait rien intellectuellement ou physiquement parlant qui soit véritablement engagé s’il n’y met pas son âme. Il s’y engage tout entier. Le soldat en est un exemple criant et c’est de cela qu’il fallait témoigner.

Col. (er) P. B.-L. : Vous écrivez que « violence et pornographie envahissent les cervelles » des jeunes soldats et qu’elles sont un « véritable fléau ». Comment avez-vous été amené à ce constat ?

N. Z. : La violence est partout dans la société civile. Il n’y a qu’à ouvrir une chaine d’information en continu. C’est un fait. La pornographie n’est qu’une forme d’expression de cette violence dans les rapports humains. Dans l’impact qu’elle peut avoir sur le psychisme je la mets au même niveau que les autres formes de violences. Elle isole, elle clive, elle sépare les uns des autres, elle centre l’individu sur lui-même, sur ses besoins, elle lui fait perdre le contrôle et le sens du réel. Je l’ai rencontrée, comme tout un chacun dans nos vies d’êtres humains. En opération, parce que le soldat est un homme d’aujourd’hui. Il parle de façon assez décomplexée de tout cela. C’est en en discutant avec eux que j’ai compris qu’en réalité c’est la déconnexion du réel qui est la plus déstructurante. Or dans des contextes très particuliers, en l’occurrence très violents également, où toutes les capacités physiques et cognitives sont décentrées de l’individu pour être mis au service du collectif, le soldat a besoin d’un ancrage très fort dans le réel. Il crée donc par cette consommation, ici de pornographie, mais de toute autre forme de violence en réalité (les jeux vidéo sont un bon exemple) un décalage très fort avec la réalité. Il s’en échappe en fait. Mais je crois que c’est justement parce que son âme n’est pas mûre qu’il a besoin d’une échappatoire et qu’il en use sous cette forme ou sous une autre, pour décompresser en quelque sorte. C’est pourtant un leurre. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO).

[1] – Éditions Tallandier, collection « Texto », 2023, 224 pages, 9 €

 

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