Nous avons eu le grand plaisir d’accueillir M. Patrick Malvezin aux dernières Journées chouannes au cours desquelles il nous a parlé de Joseph de Maistre. Trente minutes d’entretien sur un tel sujet c’est bien court. Mais, Patrick Malvezin, par la clarté et la solidité de son propos a parfaitement réussi à capter l’attention de son auditoire et à le mettre en appétit. J’en ai eu des témoignages exprès. Ses compétences pour traiter de Joseph de Maistre ne sont pas contestables. Son parcours professionnel l’atteste : études de philosophie commencées en Sorbonne sous les auspices de Pierre Boutang qui fut son professeur de terminale, fréquentant parallèlement l’Institut de philosophie comparée pour approfondir son thomisme. Il a pu ainsi accomplir une longue carrière professionnelle. Bien plus, en 1983, il soutient en Sorbonne, une thèse réalisée sous la direction de Pierre Boutang : « Joseph de Maistre ou les conditions ontologiques du recours à la tradition ». Il est aujourd’hui l’auteur d’un important ouvrage publié aux éditions de Chiré : « Joseph de Maistre ou le mystère du gouvernement » [1]. Patrick Malvezin a privilégié une présentation méthodique de nombreux textes tirés des œuvres de Maistre, accompagnés et éclairés de substantiels commentaires. Le livre de P. Malvezin offre donc au lecteur, et notamment au lecteur peu averti, la possibilité de connaître Joseph de Maistre par ses œuvres, ou d’approfondir leur connaissance à travers ses pages les plus célèbres (Considérations sur la France, Du Pape, l’Essai sur le principe générateur des constitutions politiques, Étude sur la souveraineté, Théorie du pouvoir politique et religieux, Les Soirées de Saint-Pétersbourg), mais grâce à d’autres, peut-être moins connues mais tout aussi passionnantes, le Mémoire au duc de Brunswick, les Lettres d’un royaliste savoisien à ses compatriotes, le Discours à Madame de Costa, etc., et de nombreux extraits de sa correspondance. Il ne pouvait donc y avoir de meilleure introduction à la lecture du livre de M. Patrick Malvezin que cet entretien qu’il nous a accordé pour Lectures françaises, sur un des écrivains les plus importants de la doctrine contre-révolutionnaire et tout simplement de la pensée française.
Jean-Baptiste Geffroy
Lectures Françaises : Patrick Malvezin, pouvez-vous nous présenter le cadre fondamental de la pensée maistrienne, à savoir sa conception « théologique », « providentialiste » de la politique, de l’histoire ; ce providentialisme qui anime d’une part son interprétation de la Révolution française comme phénomène d’inspiration « divine », d’autre part sa conception du pouvoir, de la souveraineté, donc de la contre-révolution c’est-à-dire, selon sa formule célèbre, « non pas une révolution contraire mais le contraire de la révolution » ?
Patrick Malvezin : Initialement, Joseph de Maistre était providentialiste comme tout catholique bien formé et conséquent.
Au début des Considérations sur la France, il écrit ainsi : « Nous sommes tous attachés au trône de l’Être suprême par une chaîne souple, qui nous retient sans nous asservir. Ce qu’il y a de plus admirable dans l’ordre universel des choses, c’est l’action des êtres libres sous la main divine. ». Mais les succès déconcertants de la Révolution française qui l’ont lui-même contraint à l’exil, l’ont conduit plus loin, par ce qu’il a appelé une « illumination » [2] qui apparaît d’abord dans une lettre à l’épouse d’un ami qui a perdu son fils mort au combat :
« Il faut avoir le courage de l’avouer, Madame, longtemps nous n’avons pas compris la Révolution dont nous sommes les témoins : longtemps nous l’avons prise pour un événement ; nous étions dans l’erreur ; c’est une époque et malheur aux générations qui assistent aux époques du monde ! » [3].
Dans les Considérations cette nouvelle lumière l’amène à écrire, après les premières lignes déjà citées :
« Dans les temps de révolutions, la chaîne qui lie l’homme se raccourcit brusquement, son action diminue, et ses moyens le trompent. Alors, entraîné par une force inconnue, il se dépite contre elle, et au lieu de baiser la main qui le serre, il la méconnaît ou l’insulte. »
Saint Thomas d’Aquin, dans la Somme Théologique, au sujet du mal, cite saint Augustin : « Dieu, souverainement bon, ne permettrait aucunement que quelque mal s’introduise dans ses œuvres, s’il n’était tellement puissant et bon que du mal même il puisse faire du bien. » C’est là une doctrine constante des Pères et Docteurs de l’Église.
Maistre l’applique, à son audacieuse manière, à la Révolution française. Il écrit plus loin « Si la Providence efface, sans doute c’est pour écrire » et d’ailleurs, le chapitre 2 de ces Considérations s’appelle « conjectures sur les voies de la providence dans la Révolution française. ». Certes, Maistre constate le caractère exceptionnellement satanique de la Révolution qu’il qualifie ainsi, et saisit sa dimension d’épreuve et de châtiment, mais il lui voit aussi un rôle régénérateur, même s’il ne confond pas la Révolution avec cette régénération attendue. Il s’emploie d’ailleurs à démontrer, au chapitre 4 de ces Considérations, « les signes de nullité dans le gouvernement français ». Le plus important est que, désormais, la suite de son œuvre s’efforcera de rechercher des lumières sur les relations mystérieuses entre les gouvernements humains et celui, qui reste toujours irréductiblement transcendant, de la Providence jusqu’au sous-titre significatif de sa dernière œuvre : les Soirées de Saint-Pétersbourg, publiée peu après sa mort « Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence ». (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)
Propos recueillis par Jean-Baptiste GEFFROY
[1] – Mai 2023, 384 pages, 29 euros. Préface de l’abbé Alain Lorans.
[2] – Il aurait mieux fait de parler d’inspiration pour ne pas donner prise aux soupçons d’illuminisme impénitent !
[3] – Discours à Madame de Costa.
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