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Dans le chaos de la Sécu, l’enfer d’une perte de carte vitale…

ByChristian Blanco

Mar 22, 2017
La Sécu, ou l'invraisemblable gabegie bureaucratique…

Dans le chaos de la Sécu, l’enfer d’une perte de carte vitale

Ou quand Ubu rencontre Kafka…

Voici une petite histoire vraie de la vie ordinaire survenue à une personne, après que sa mère eut perdu sa carte vitale lors d’un paiement dans un magasin.

Tout commence ce vendredi 3 février après-midi. Je reçois de ma mère un appel angoissé : elle a perdu sa carte bancaire et sa carte vitale. Pour elle, c’est une catastrophe. Âgée de 92 ans, connaissant de sérieux problèmes de déplacement, cette perte la met dans une situation particulièrement difficile !

Je la rassure tout de suite en lui indiquant que mon frère allait se rendre au plus tôt au service des objets trouvés de la mairie de notre commune pour voir si, par un heureux hasard, une personne bien intentionnée n’aurait pas rapporté ces deux cartes. Hélas, tel n’était pas le cas.

Il lui fallait donc d’abord se rendre à son agence bancaire pour déclarer la perte de sa carte bancaire afin qu’elle devienne inutilisable (fort heureusement, ma mère n’avait pas écrit son code sur la carte). Cette démarche se passa sans aucune difficulté, la banque lui indiquant qu’une nouvelle carte allait lui être adressée très rapidement. Il fallait ensuite contacter la Caisse primaire d’assurance maladie. Mais de ce côté, nous allons le voir, les choses allaient être bien plus compliquées.

Me connectant sur Internet, j’ai tout d’abord tapé « perte de la carte vitale » dans mon moteur de recherche et tout aussitôt, une page m’a clairement expliqué les démarches à effectuer :

– déclarer la perte de la carte vitale

– demander une attestation de droits à l’assurance maladie

– demander une nouvelle carte vitale

Pour ces trois démarches, la page internet m’a indiqué trois modalités :

– me rendre à la Caisse primaire d’assurance maladie

– téléphoner

– par Internet

Habitant non loin de la Caisse primaire d’assurance maladie, je choisis donc la première modalité comme m’apparaissant la plus commode, sous réserve de connaître les horaires d’ouverture.

Je me rends donc sur le site de la CPAM et là, mauvaise surprise : il est indiqué que, « afin de mieux recevoir le public » (?), l’accueil de la Caisse est fermé pour travaux du vendredi 3 février à midi jusqu’au mardi 7 février inclus. Curieuse façon de mieux recevoir le public que de fermer le service d’accueil, mais je comprends le sens du message : le mercredi matin tout ira bien mieux qu’auparavant. Cependant, je ne m’en trouvais pas moins dans l’impossibilité d’utiliser cette modalité pour effectuer mes démarches.

J’opte donc pour la voie électronique et me rends sur le site de la CPAM pour effectuer les déclarations et demandes nécessaires. Je trouve aisément le lien, mais alors survient un problème : il faut détenir un compte dénommé « Ameli », que, bien évidemment, ma mère n’a pas. Pas de problème, je maîtrise internet et possède toutes les informations la concernant. Après avoir entré toutes les informations demandées, une page m’indique que le compte est bien créé, mais que je ne pourrai l’utiliser que dans un délai de huit jours après avoir reçu un code d’accès !!! En clair, je ne peux donc toujours pas déclarer la perte de la carte vitale de ma mère.

Restait donc la dernière modalité indiquée : téléphoner. Même si cela me contrariait sur le principe, car le numéro de téléphone est payant (eh oui ! il faut payer pour contacter un service public aussi essentiel que la Caisse primaire d’assurance maladie). Je compose donc le 3646 et il m’est bien précisé que le service est payant, ce que je savais déjà, mais il n’est peut-être pas inutile de prévenir ceux qui ne le savent pas. Le paiement commence à compter d’un bip qui survient quelques secondes plus tard. Se succèdent alors plusieurs messages dont je n’avais que faire, et pendant ce temps, le compteur tournait. Mais une voix me rassure et m’indique que mon délai estimé d’attente est d’une minute, ce qui est tout à fait convenable. J’attends donc, et les minutes se suivent, jusqu’à ce que, sept minutes plus tard une charmante voix féminine me demande ce que je veux. Je lui explique donc l’objet de mon appel, à savoir la déclaration de perte de la carte vitale par ma mère âgée de 92 ans et les difficultés qu’elle risque de rencontrer. De nombreux renseignements me sont alors demandés (nom, adresse, date de naissance, numéro de sécurité sociale, etc.) jusqu’à ce que mon interlocutrice me demande si ma mère est à côté de moi. Je lui réponds négativement, que je suis chez moi et ma mère chez elle. Catastrophe !!! Il m’est répondu que, faute de déclaration par l’intéressée elle-même, la perte de la carte ne peut être enregistrée ! Je vais payer environ un quart d’heure d’appel taxé pour rien.

Résumons donc : l’accueil de la Caisse primaire d’assurance maladie est fermé, Internet ne peut rien et le téléphone non plus. Par chance, des amis médecins auxquels je relatais mes mésaventures m’ont informé que j’avais tout intérêt à me rendre moi-même à la CPAM dès l’ouverture pour éviter une trop longue attente et me précipiter sur le distributeur de ticket pour prendre rang dans la file d’attente. J’optai pour cette solution et, le mercredi 8 février, j’arrive sur les lieux à 8h précises. Hélas pour moi ! d’autres avaient eu la même idée et c’est ainsi que treize personnes attendaient déjà devant la porte.

A 8 heures, la porte s’ouvrit et je m’engouffrai avec tout le monde dans le hall d’accueil, cherchant fébrilement le fameux distributeur de tickets pour prendre rang. Mais je ne vis rien et d’ailleurs les treize personnes devant moi s’étaient arrêtées pour attendre. On nous expliqua alors que l’appareil de gestion de la file d’attente était en panne et qu’il n’était donc pas possible de retirer un ticket pour aller s’asseoir en attendant l’appel de notre numéro. Au fond de moi, je me suis interrogé sur la pertinence des travaux de fermeture pour « mieux accueillir le public » !!! C’était donc pire qu’avant puisqu’il fallait attendre debout dans le hall.

Puis, progressivement quelques agents sont venus s’adresser aux personnes qui me précédaient pour les emmener dans des bureaux. Pendant que j’attendais ainsi, toujours debout, alors que la file d’attente derrière moi ne cessait de s’allonger, je remarquai une scène étrange : sept personnes (je dis bien sept !), soit trois techniciens en bleu de travail et quatre agents administratifs se concentraient autour d’un terminal (appareil qui, après l’introduction de la carte vitale permet aux assurés d’effectuer diverses opérations). Que pouvaient-elles bien faire ? Ma curiosité fut satisfaite non sans effarement, lorsque je vis l’un des agents prendre un… rouleau de papier et l’insérer dans la machine : sept personnes pour alimenter un appareil avec un rouleau de papier !!! Pendant ce temps-là, j’attendais toujours mon tour.

Plus que deux personnes devant moi ; je commençais à espérer que mon tour arrive rapidement. Une jeune femme vint alors s’adresser à la première personne de la file pour lui demander ce qu’elle voulait, puis s’adressa à la seconde, et enfin à moi. Et là, la situation devint si ubuesque que je crus défaillir. En effet cette personne, au demeurant fort aimable, me dit :

– « Bonjour (le « monsieur » était oublié), que désirez-vous ? »

– Je répondis : « Bonjour madame (eh oui, j’ai été éduqué ainsi !), je viens déclarer la perte d’une carte vitale ».

– Tout aussitôt, la dame me dit « bien monsieur (ah ! J’étais devenu un « monsieur » !), donnez-moi votre carte vitale » !!!!

– Je lui dis alors qu’il m’était difficile de lui donner la carte dont je venais justement déclarer la perte ! Se rendant compte de l’absurdité de la situation, la dame, dans un instant de lucidité, me concéda un « ah oui bien sûr » ! Puis elle disparut, et je restais toujours debout à attendre. Puis, les deux personnes qui étaient devant moi ayant été reçues, je ressentis l’immense bonheur d’être enfin en tête de file.

Une dame vint alors me demander ce qu’elle pouvait faire pour moi. C’était bien aimable, mais pourquoi donc une autre dame était-elle venue quelques minutes plus tôt me poser la même question ? Je lui expliquai donc mon problème et je la suivis alors à un comptoir où je lui présentai la carte d’identité de ma mère et le pouvoir qu’elle me donnait pour effectuer les opérations en son nom. Étais-je arrivé au bout de mes épreuves ? Oh que non. Je n’étais pas au bout de mes surprises !

Alors même que cette dame travaillait devant un très grand écran d’ordinateur, je constatai avec surprise que la déclaration de perte se faisait sur une feuille de papier A 4. Je la signai et entendis, rassuré l’agent me dire : « C’est parfait, la déclaration est faite ». Ouf !

Il me fallait maintenant une attestation de droits à l’assurance maladie afin que ma mère puisse éviter l’avance des frais de maladie. « Aucun problème », me répondit l’agent et elle se mit à tapoter sur le clavier. « Voilà, me dit-elle, je l’ai à l’écran ». Je lui fis alors observer que cela était très bien, mais que ce dont ma mère avait besoin ce n’était pas son écran mais une feuille contenant cette attestation. C’est là que, de nouveau, Ubu refit son apparition : il n’était pas possible de m’imprimer le document car l’imprimante n’était pas encore branchée !!! Une heure après l’ouverture des bureaux, et après deux jours et demi de travaux, aucune imprimante n’était disponible. Pourtant le site de la Caisse primaire d’assurance maladie m’indiquait bien que je pouvais repartir avec cette attestation. J’ai alors insisté pour demander s’il n’était pas possible d’imprimer sur une quelconque autre imprimante de la Caisse. Impossible, me fut-il répondu, car l’ordinateur n’était en réseau avec aucune imprimante. Je songeai alors à la fameuse formule justifiant la fermeture de l’accueil du service « pour mieux accueillir le public » en me demandant ce que cela aurait pu être sans ces travaux !!! On m’indiqua donc que je n’avais qu’à procéder à l’impression de l’attestation chez moi en me rendant sur le site de la Caisse (site auquel je pus accéder ultérieurement grâce à un code provisoire qui me fut donné ce jour-là). Inutile de préciser que ma mère n’a pas internet et pas plus d’imprimante.

Bref, il ne me restait plus qu’une seule demande à formuler, celle d’une nouvelle carte vitale dont le site internet précisait que sa délivrance nécessitait un délai d’environ trois semaines. Je demandai donc à mon interlocutrice comment obtenir cette nouvelle carte et là, Kafka s’invita dans la conversation : « Monsieur, il faut compter un mois pour que votre maman reçoive les documents nécessaires à la demande d’une nouvelle carte puis, une fois que vous aurez fourni ces documents remplis, il faudra encore environ un mois pour obtenir la carte vitale ». Soit deux mois, là où le site internet indique trois semaines. On peut tout de même se poser des questions à l’heure de l’informatique : comment peut-on justifier au XXIe siècle qu’il faille un tel délai pour éditer une carte vitale. Je précise qu’entretemps, ma mère a reçu sa nouvelle carte bancaire le vendredi 10 février, soit exactement une semaine après sa déclaration de perte !!!

Pour terminer, je voudrais juste rappeler que ma mère a 92 ans, qu’elle ne possède pas de liaison internet et que ses difficultés pour se déplacer lui interdisent de se rendre à la CPAM. Fort heureusement, j’habite la même ville qu’elle et, étant à la retraite, je dispose de suffisamment de temps à perdre pour m’égarer dans le chaos administratif d’une simple procédure de déclaration de perte de carte vitale. Mais, faute de pouvoir compter sur la proximité et la disponibilité des siens, comment aurait-elle fait ? Cet épisode atteste que la Sécu en France est un vaste foutoir où, dans une invraisemblable gabegie bureaucratique, la bêtise le dispute à l’incompétence. A l’heure où la défense des services publics est dans l’actualité des programmes électoraux, nos candidats pourraient méditer cette expérience pour essayer de comprendre l’exaspération des usagers qui ont l’impression que la réalité de la vie quotidienne échappe de plus en plus à nos élites.

Christian BLANCO

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