Chesterton, analyste de nos «dissociétés» actuelles

Gilbert Keith Chesterton (1874-1936).

Entretien avec Golonka Wojtek Golonka à propos de Chesterton et de la parution de Pourquoi je suis catholique

Lu pour vous dans Présent

Golonka Wojtek Golonka a été le maître d’œuvre de la parution de Pourquoi je suis catholique, recueil d’articles de Chesterton nouvellement traduit en français. Il fait partager son enthousiasme et sa profonde connaissance de l’œuvre du polémiste anglais

— Quelle est l’origine de cette traduction de Chesterton ?

— En septembre 2013, après avoir soutenu une thèse sur Gilbert Chesterton, j’ai proposé aux étudiants de l’Institut Universitaire Saint-Pie X, où j’enseignais, de réaliser une traduction collective d’une œuvre de valeur, alors encore inédite, résumant les articles de polémique religieuse chestertonienne de la fin des années 1920. Le projet a rapidement dépassé les frontières de notre établissement, rassemblant 27 participants internationaux. Les écrivains Jean Monneret et Patrick Gofman ont apporté leur précieuse contribution ; une amie suisse, Marie Pedroni, a traduit à elle seule huit chapitres du livre.
En avril 2015, alors que l’essentiel du travail était terminé, le même ouvrage paraissait aux éditions Climats. Connaissant les difficultés posées par l’original anglais, je me suis rendu compte que cette parution, malgré un style français fluide agréable, contenait de graves erreurs de traduction et copiait sans intelligence et sans mention les notes d’un universitaire américain. Cette copie irrecevable nous servit d’avertissement stimulant. Aux lecteurs de juger si nos efforts de rendre un travail sérieux ont abouti.

 — Les titres de chapitres sont savoureux (« La logique et le tennis », « L’hindou nordique » par exemple). Sont-ils la traduction fidèle des titres originaux ?

— C’est du Chesterton pur jus ! Mais aussi la mode de titres devinettes, ne s’éclairant qu’à la lecture des pages concernées. Par contre, pour la traduction du texte, j’ai laissé aux participants du projet la liberté d’une variante plutôt littérale, imitant de près le style délectable (ou irritant !) de Chesterton, ou d’un travail allant au contraire dans le sens d’une réécriture de certains passages suivant le génie de la langue française. De mon côté, j’ai veillé à la fidélité conceptuelle du texte par rapport à l’original et doté l’ensemble d’un appareil critique riche de 300 notes explicatives. J’ai aussi essayé d’éclairer les passages obscurs en harmonie avec d’autres œuvres de l’auteur. Le préfacier et recteur de notre Institut, M. l’abbé François-Marie Chautard, a organisé les relectures nécessaires. Le résultat définitif est une traduction chestertonienne destinée au grand public mais digne des exigences universitaires.

— Quels sont vos liens avec l’association des amis de Chesterton ? Envisagez-vous des traductions d’autres inédits en français de Chesterton, s’il en reste ?

— Mes échanges avec Philippe Maxence sont réguliers, fructueux et cordiaux. Il a une capacité irremplaçable de perception de l’œuvre chestertonienne en lien avec les richesses de la littérature française ou mondiale que je n’ai pas. Nos projets communs de mise en valeur de l’héritage chestertonien concernent, entre autres, la collection « Les Amis de Chesterton » qu’il dirige aux éditions Via Romana. Dans le cadre des 500 ans de la Réforme protestante, nous ferons intervenir un témoin de poids (proverbial). Le témoignage de ce célèbre converti paraîtra sous forme d’une synthèse, Le Protestantisme vu par G.K. Chesterton. Bien entendu, l’œuvre prolifique du journaliste anglais ne se limite pas aux questions religieuses, et nous envisageons quelques titres portant davantage sur les questions « sociétales » ou politiques (nationales et internationales). Chesterton était un visionnaire qui entrevit et réfuta d’avance les problèmes de nos « dissociétés » actuelles. Une partie de cette sagesse attend encore d’être traduite et nous y travaillons activement.

— Vous avez consacré une thèse de doctorat en philosophie à Chesterton. Comment en êtes-vous arrivé à choisir ce sujet ?

— Un ami polonais, Lukasz Kluska, m’a fait le cadeau « empoisonné » de La Sphère et la Croix et du Nommé Jeudi de Chesterton, lectures qui, dans mon cas, se sont avérées addictives. Travaillant alors en librairie, j’ai dévoré le rayon chestertonien. Commençant en parallèle ma thèse de doctorat, l’étude de la pensée de ce génie unique était pour moi un choix naturel. Entre-temps nous sommes, je crois, devenus de bons amis, et après ma soutenance je suis allé visiter les lieux où il a vécu. Certains songent à le béatifier ; à mon sens, c’est à considérer sans se hâter. Mais certainement sa tombe au cimetière de Beaconsfield mérite d’être visitée davantage.

— Quel est votre livre préféré de Chesterton ? Quel est celui dont vous recommandez la lecture à quelqu’un qui souhaite le découvrir ?

Pourquoi je suis catholique m’a vraiment ébloui par la puissance de ses réflexions. Même les non-chrétiens tireront profit de cet art rhétorique de la réduction à l’absurde et goûteront dans ces pages un contemplatif rare, extrayant la substantifique moelle des concepts, au risque de paraître paradoxal à ceux qui ont perdu l’émerveillement devant le réel. Je n’ai jamais autant ri qu’avec Le Supervivant. C’était lors d’un vol d’avion et il me fallait choisir entre l’arrêt de la lecture ou la poursuite de mes éclats de rire au milieu des passagers étonnés. J’ai choisi leur étonnement… L’Auberge Volante est un ouvrage prophétique et d’espoir sur la présence du Croissant en Europe. Et il est aussi très drôle. Napoléon de Notting Hill plaira aux militants patriotes ; Michel Collins s’en est inspiré pour l’Irlande. J’avoue avoir peiné au départ avec Saint Thomas du Créateur, dont je n’ai saisi le génie qu’à la deuxième lecture. Ne vous découragez donc pas ! Certaines traductions n’aident pas à dépasser les difficultés posées par le style chestertonien ou l’obscurité ponctuelle, résultat de son travail hâtif au milieu de multiples articles à écrire, ouvrages à préfacer, conférences à donner etc. C’est pourquoi je suis très reconnaissant à Patrick Gofman et Colette de Bonnafos de leurs fidèles conseils littéraires précieux à chaque fois que je travaille sur le sujet.
Propos recueillis

Anne Le Pape, anne-le-pape@present.fr

Présent n°8860 du 13 mai 2017

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