Est-il besoin de présenter l’auteur qui s’est fait connaître par ses nombreux ouvrages, dont ressortent des titres tels que : Historiquement correct [1] et sa biographie de l’impératrice Zita, dernière impératrice d’Autriche [2]. Eh oui, l’Autriche déjà ! Nous apprenons en effet, dans les premiers chapitres, que l’auteur est lié à l’Autriche, qu’il y a séjourné très souvent et s’est donc naturellement intéressé à son histoire. Comme en témoigne le titre de l’ouvrage cité plus haut, auquel viennent s’ajouter d’autres travaux. D’un autre côté, Jean Sévillia s’est, d’une certaine manière, consacré au rétablissement de la vérité sur certains sujets sensibles ; ainsi en est-il de son livre Les Vérités cachées de la guerre d’Algérie [3]. Il joint ici ses deux domaines de prédilection en se penchant sur l’Autriche et son rapport au nazisme.
Nous touchons ici un sujet brûlant et, autant le dire tout de suite, l’auteur se garde bien des flammes en démontant petit à petit et avec de grandes précautions, les liens qu’il pourrait y avoir entre l’Autriche et l’Allemagne nazie. Pourtant, dès le départ, il explique que l’Autriche est très proche de l’Allemagne, si bien que l’on parle d’Autriche allemande pour la désigner, c’est du moins sous cette dénomination qu’est instituée la république d’Autriche… Parce que la république est nationale et que l’Autriche n’est pas une nation. Elle a cependant une langue qui se trouve être l’allemand, ce qui donne un sentiment d’appartenance au peuple allemand et donc par distorsion démocratique à la nation allemande.
« Il avait existé jusqu’en 1918, une histoire autrichienne, une culture autrichienne, une civilisation autrichienne, une mentalité autrichienne, un sentiment d’appartenance à l’Autriche dont la traduction politique était le loyalisme envers les Habsbourg, qui avait suscité un patriotisme habsbourgeois, mais il n’avait jamais existé de patriotisme autrichien au sens géographiquement limité que nous lui connaissons aujourd’hui » (p. 28).
Toute la première partie du livre est consacrée à la montée en puissance du nazisme vue depuis l’Autriche, à quel point il est une tentation et à quel point c’est sous la menace allemande, sous la menace nazie, que le nationalisme autrichien s’est constitué, avec le régime de Dollfuss.
Le régime de Dollfuss et de Schuschnigg est ensuite à l’étude, dans le sens de sa lutte contre le voisin infréquentable. L’auteur s’échine alors à découdre la trame tissée par l’histoire officielle et qui résume le tout en un mot lapidaire : Austrofascisme. Il y a dans ce nom comme un parfum de condamnation que Jean Sévillia s’évertue d’éventer. La suite et la fin de l’ouvrage décrivent les différents mouvements ayant résisté au nazisme après l’Anschluss.
« Tous les Allemands ne sont pas nazis », peut-on entendre dans le film « OSS 117, Rio ne répond plus ». Tous les Autrichiens non plus ! semble vouloir ajouter Jean Sévillia par ce livre. Certains Autrichiens ont même résisté à l’envahisseur, avant même qu’il n’envahisse. Et, si l’on en croit la dernière phrase : « Mais si les vainqueurs ont pu transmettre le flambeau de la liberté à des Autrichiens, l’Autriche le doit à ceux de ses enfants qui ont dit non à Hitler. » (p. 459). Liberté chérie des républiques, liberté soviétique d’un côté, libertaire de l’autre… Cette phrase résume bien l’esprit du livre.
Un livre qui énonce des faits, mis bout à bout, sans analyse de fond. Sévillia évoque l’âme autrichienne au début, combien il est attaché à ce pays, avant d’en résumer l’histoire récente, froidement. Peut-être, sans doute dirons-nous pour excuser l’auteur, est-il plus facile de préférer l’Autriche des Habsbourg à celle de Schuschnigg, mais alors il faut le dire.
C’est ce qui manque à ce livre, du souffle, de la fougue. Il est saccadé par un plan rigoureusement scolaire qui permet de ne pas sortir des sentiers battus, qui évite la prise de risque. Nous aurions voulu lire que l’Autriche a été volée en 1919 au profit de nations mineures qui ne seraient pas grand-chose sans elle ; qu’elle a été abandonnée entre les deux guerres ; qu’elle a été livrée à l’Allemagne ; qu’elle a échappé de peu aux griffes de l’URSS… Et certainement pas qu’elle devrait remercier ses vainqueurs d’avoir rétabli sa liberté. Pour un pays où battait le cœur d’un empire pluriséculaire, qui a un temps régi une bonne partie du monde, c’est un peu fort. Pour une puissance qui a plusieurs fois repoussé la grande menace de son temps, arrivée jusqu’aux portes de sa capitale, c’est un scandale.
Alors oui, des Autrichiens ont dit non à Hitler, d’autres ont dit non à Staline, et il y en eut certainement pour dire non aux Alliés, mais ce sont surtout ceux qui ont tourné le dos à l’Autriche qu’il eût fallu blâmer.
Mais le choix a été fait de dire combien les Autrichiens n’étaient pas nazis, ni antisémites, ni bellicistes, combien ils ont participé à la dénazification… Quel était le pourcentage d’Autrichiens parmi les décideurs nazis… Une avalanche de chiffres qui ne prouve pas grand-chose tant un seul homme peut avoir plus d’influence ou de pouvoir qu’un grand nombre.
Bref un livre conforme en tous points, qui répond au cadre imposé par cette liberté chérie et qui prouve encore une fois combien suivre le courant est d’une affligeante monotonie. Et le pire c’est qu’il affirme tout du long qu’il fait le contraire et entend rétablir une vérité. L’Autriche a dit oui à Hitler, c’est la vérité démocratique dans toute la cruauté de ce régime de mort.
Nous pouvons tout de même saluer le travail de recherche, puisque Jean Sévillia a traité tous les mouvements qui ont rejeté le nazisme : les socialistes, les communistes, les légitimistes, sans oublier l’Église catholique. Travail complexe, puisqu’ils ont tous des raisons différentes et des objectifs souvent opposés. D’autant plus difficile que l’Autriche sous sa forme d’alors est un pays très récent sans identité marquée. Son nom résonne avec force dans l’histoire parce qu’il est lié au destin de la maison de Habsbourg. Pourtant cette Autriche, cœur de l’Empire, n’est pas une nation, elle les a agglomérées autour d’elle, pour leur bonheur pendant des siècles et pour son malheur au siècle des nations, conséquence des révolutions françaises. Sa capitale Vienne en est un bon exemple. Ville cosmopolite avant l’heure, elle symbolise les carences du pays qu’est l’Autriche, puisqu’elle est en décalage complet avec le reste du pays. Un pays très catholique avec une capitale où sévit Sigmund Freud…
Manque à ce livre une analyse poussée de l’Autriche ; pas une psychanalyse bien sûr, mais une étude de ce qu’elle est dans sa moelle, pour en comprendre mieux l’âme au moment de l’aborder au sortir de la Première Guerre mondiale. Il manque à cette étude historique un peu de géographie. C’est un livre écrit à la manière d’aujourd’hui, qui tend pourtant à s’insurger contre ce qui se dit aujourd’hui ; cela reste au fond un livre de journaliste. C’est peut-être un peu dur, puisque ce métier a perdu de sa superbe ces derniers temps, pourtant il fut beau et M. Sévillia nous le rappelle dans son chapitre 7 Finis Austria, où il reconstitue heure par heure la suppression de l’Autriche à la manière d’un reporter de guerre. Le seul qui vaille vraiment le détour.
Éditions Perrin, septembre 2023, 512 pages, 24 €
Laurent CAUSTE
[1] – Éditions Perrin, 2003 et 2014 pour l’édition de poche (collection « Tempus »).
[2] – Zita, impératrice courage, 1892-1989 (Éditions Perrin, 1999 et éd. de poche, coll. « Tempus », 2013 puis 2016).
[3] – Éditions Fayard, 2018.
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