Annoncé depuis des semaines, l’éclatement de la « bulle bitcoin » ne s’est toujours pas produit. La plus connue des crypto-monnaies est tout juste revenue à son niveau du mois de novembre (10 000 dollars). Soit celui d’avant la brusque envolée constatée lors du lancement des premiers contrats à terme sur la monnaie virtuelle à la bourse de Chicago (17000 dollars), contre 1 000 dollars il y a un an.
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Ce plongeon relatif n’est d’ailleurs pas sans rapport avec les secousses ayant touché Wall Street lors de l’arrivée de Jerome Powell à la tête de la Réserve fédérale des États-Unis (FED), tant les deux phénomènes procèdent des contractions dues aux fins annoncées à la fois de la monnaie papier et de l’hégémonie du dollar, phénomènes, qui, conjugués, constituent l’entrée dans le XXle siècle monétaire.
Même si sa capacité totale reste modeste, le bitcoin, créé par des anonymes dans la foulée de la crise de 2008, a séduit par son indépendance vis-à-vis des États et des banques centrales, par sa nature profondément libertarienne (anarcho-capitaliste), et par la blockchain (chaîne de blocs), le bouleversement technique abrité en son sein. Mais il semble qu’à terme, la vedette des crypto-monnaies ne soit balayée par les forces coalisées contre elle (États, banques, économistes « nobélisés » appelés en renfort, etc.). Le bitcoin pourrait rester comme le symptôme d’un bouleversement financier semblable à celui que furent, pour l’industrie musicale, les débuts du « peer-to-peer ».
Le fait que le bitcoin soit désigné par ses contempteurs comme « intrinsèquement spéculatif » et comme une simple « bulle », y compris par George Soros qui l’a qualifié de « Donald Trump des monnaies », en aura fait sourire plus d’un. Une éventuelle régulation du bitcoin par une articulation au système financier serait embarrassante car elle conforterait la crypto-monnaie dans son rôle de monnaie concurrente. Il y a donc plutôt fort à parier que les maîtres du jeu instrumentaliseront médiatiquement une quelconque affaire de pédophilie ou de terrorisme afin de confiner cette monnaie hors de leur contrôle. En attendant, ces derniers ont amorcé l’apprivoisement de la blockchain.
Et les initiatives fleurissent de toutes parts: l’Australian Securities Exchange, la bourse de Sydney, utilisera cette technologie à partir du mois de mars, Deutsche Bank, HSBC, KBC, Natixis, Robabank et la Société Générale mettent en place un consortium pour construire une plate-forme de blockchain. La FED de Philadelphie se félicite d’un système permettant « la mise en oeuvre unique d’une répartition plus efficace sans intervention du gouvernement si le capital productif est introduit ». La Banque centrale de la Fédération de Russie étudie la possibilité d’une crypto-monnaie commune aux BRICS et à l’Union eurasienne, etc. Notons toutefois que ce qui a fait l’attrait du bitcoin est précisément l’architecture décentralisée de la blockchain, technologie permettant de stocker et de transmettre des informations en l’absence d’organe central de contrôle. La résolution de cette contradiction majeure apparaît déjà comme l’enjeu central des prochaines années.
Faits & Documents n°447 du 15 février 2018