Soixante ans d’amitié avec Henry Coston, par Jacques Ploncard d’Assac

Un soir de 1927, il y a soixante ans, deux jeunes gens se rencontrèrent dans une réunion d’Action Française, à Paris. Formés à la même école de pensée, attirés par le journalisme, ils nouèrent ce soir là une amitié qui devait se conserver jusqu’à nos jours. L’un était Henry Coston, alors secrétaire de la section d’Action Française de Villeneuve sur Lot ; l’autre, moi-même qui commençais à publier de petites brochures nationalistes. Nous avions le même âge, étant nés tous deux en 1910.

Notre première idée fut de fonder un journal. La correspondance était active entre Villeneuve-sur-Lot, où Henry Coston était retourné et Paris où je militais. Nous parlions du journal à faire et nous avions déjà trouvé le titre. C’était le plus facile à faire. Ce serait La France libre.

Arrêtons-nous un instant sur ce titre. Il révélait chez les deux jeunes gens l’intuition que la vie politique était truquée, que la démocratie était un leurre, que la liberté était une fiction commode pour manoeuvre l’opinion, car, comme l’a très bien dit Bossuet : « Quand une fois on a trouvé le moyen de prendre la multitude par l’appât de la liberté, elle suit en aveugle, pourvu qu’elle entende seulement le nom ».

Charles Maurras nous avait ouvert les yeux et nous ne voulions pas suivre en aveugles. Nous étions à une époque où il y avait encore des Maîtres et l’influence d’Edouard Drumont mort juste dix ans avant notre rencontre, était encore vivace. C’est elle qui fut notre véritable formatrice. Drumont dont Maurras devait dire avec modestie, mais vérité : « La formule nationaliste est née presque toute entière de lui, et Daudet, Barrès, nous tous, avons commencé notre voyage à sa lumière ».

Drumont nous avait surtout appris qu’il existait des forces occultes derrière les pantins des partis politiques. Franc-maçonnerie et Ploutocratie étaient les rois de la République. Nous allions passer notre vie à les débusquer, à les reconnaître, à les dénoncer. Nous voulions une politique de vérité.

Si nous avions trouvé le titre de notre journal, nous n’avions pas l’argent pour l’imprimer et il était bien invraisemblable que nous le trouvions chez les « bien-pensants » que tout effort fatigue.

On ne parla plus de la France libre.
Un an plus tard, le l’ juillet 1928, je réussis à publier un numéro de la Libre Parole qui portait en gros titre sur toute la page cette devise : « La France aux Français ! » qui avait été celle de La Libre Parole de Drumont. J’avais réuni une assez brillante rédaction pour un jeune homme de 18 ans : le sénateur Gaudin de Villaine, le député d’Oran ; le docteur Molle, Jean Drault et Albert Monniot survivants de la Libre Parole de Drumont et Pierre Colmet, alias l’abbé Boulin, alors collaborateur de Mgr Jouin à la Revue Internationale des Sociétés Secrètes, et qui avait joué un rôle secret et considérable dans la Sapinière, le mouvement antimoderniste qui aida saint Pie X durant tout son pontificat à dépister et combattre l’invasion moderniste dans l’Eglise.

Mais si j’avais les rédacteurs, je n’avais toujours pas l’argent. J’arrêtai là l’expérience, me contentant d’un plus modeste opuscule : La Lutte.

De son côté, Henry Coston ne restait pas inactif. Il collaborait à divers journaux, dont L’Express du Midi et le Paysan du Sud-Ouest, mais nous pensions toujours à notre journal. Un petit héritage lui permit de rependre La Libre Parole en 1930. Cette fois l’affaire était solide. Notre Libre Parole dura jusqu’en 1939.

En 1936, Coston en fit même paraître une édition à Alger où il était allé — toujours sur la trace du Drumont — se présenter aux élections. Il fut battu par la ténébreuse alliance de la droite des Affaires et de la Gauche des mêmes Affaires. Mais la lutte était engagée. Ni lui, ni moi, n’avions des convictions élastiques, ce qui est bien satisfaisant pour l’esprit, mais hasardeux dans les remous politiques.

Lorsque le maréchal Pétain entreprit de dissoudre la franc-maçonnerie, Coston fut installé à la Grande Loge au dépouillement des archives de la Secte. Ce fut une expédition dans l’histoire secrète prodigieuse d’intérêt. De mon côté, comme bibliothécaire national, le professeur Bernard Fay, administrateur général de la grande bibliothèque française, me confia, au Grand-Orient, le dépouillement des archives maçonniques du XIXe siècle. Nous étions donc, Coston et moi, en mesure de réécrire l’histoire des derniers siècles. Le Maréchal nous fit l’honneur de nous admettre le même jour, dans l’Ordre de la Francisque.

En bon Auvergnat, Coston, habile à manier les chiffres, se plongea avec ravissement dans l’étude des secrets de la Fortune Anonyme et Vagabonde. Il n’avait pas son pareil pour dépouiller un bilan ou débusquer les possesseurs des Sociétés. De cette activité laborieuse, aidé par la remarquable documentaliste qu’était sa femme, la chère Gilberte Coston, doué d’une mémoire prodigieuse, il écrivit ces livres qui firent date ; La Haute Banque et les Trusts; l’Europe des banquiers, les 200 familles, La Fortune Anonyme et Vagabonde, et tout dernièrement : Le Veau d’or est toujours debout.

Sur la Maçonnerie, il avait, dès l’avant-guerre, publié entre autre Les Mystères de la Franc-Maçonnerie.

A ce que l’on a appelé la « Libération » et qui ne fut, politiquement parlant, que la réoccupation de la France par les puissances occultes, il fut emprisonné et passa cinq ans dans les geôles républicaines. Pour ma part, je ne conservai ma liberté que dans l’exil. Je passai un quart de siècle au Portugal où la confiance et l’amitié du Président Salazar me permit de continuer mon activité de journaliste et d’écrivain. C’est là que je rédigeai mes Doctrines du Nationalisme et d’autres ouvrages dont la Critique nationaliste. J’eus même entre les mains la redoutable puissance de la radio avec la Voix de l’Occident qui émettait tous les jours en français, anglais et italien.

Souvent, Coston venait me voir au Portugal et nous confrontions nos découvertes dans le monde souterrain de l’histoire secrète.

Dès 1952, Coston avait repris ses activités journalistiques et fondé, en 1957, cette fameuse revue Lectures françaises dont nous fêtons aujourd’hui le 30ème anniversaire. Cette revue eut une importance considérable, car elle permit d’initier les jeunes de l’après-guerre aux dessous de la politique. Parallèlement, Coston rédigea les quatres tomes de ce monument historique que fut le Dictionnaire de la Politique française, dont l’influence fut énorme. Décortiquant la biographie de tous ces individus qui apparaissaient sur la scène politique, il permit de répondre à la question : Qui est qui ? Cela en embarrassa beaucoup et éclaira les autres.

Sans doute, comme toujours, les moyens financiers furent limités, mais l’oeuvre était faite. Elle existe et il n’est que de voir l’utilisation qu’en fait constamment François Brigneau pour comprendre l’importance politique de ce dictionnaire, Brigneau qui eut ce mot admirable pour désigner Coston : « la mémoire de la droite ».

En 1977, harassé de travail, débordé par ses dossiers, il s’avèra que Coston ne pouvait continuer de front la direction de Lectures françaises et la rédaction de ses longues études sur la Finance et sur les sociétés secrètes. Il y avait un choix à faire. Lectures françaises devait continuer, mais il fallait que d’autres mains en prennent la direction sans en changer l’orientation. Ce fut Jean Auguy qui fut choisi par Coston pour lui succéder. Leurs idées étaient les mêmes. Auguy avait pris une place importante dans la diffusion des publications contrerévolutionnaires. Le flambeau allait passer d’une génération à l’autre sans s’éteindre ni même vaciller.

Ainsi, regardez la manière dont se transmettent les idées en un siècle. Depuis Drumont, il s’est toujours trouvé quelqu’un, dans les générations nouvelles, pour reprendre le combat. Cette école de pensée est si forte, son adéquation au réel des situations est si parfaite que la révèle se fait sans difficulté, et nous voyons les jeunes rédacteurs de Lectures françaises assurer l’avenir.

Il y aurait beaucoup à vous dire encore, mais Coston, qui prépare ses mémoires, vous le dira mieux que moi . Notre amitié scellée dès le départ, voilà soixante ans, autour d’idées communes, montre la solidité des principes qui nous réunirent et nous unissent encore.
C’est une satisfaction, au soir de sa vie, que de se dire que l’on a contribué à ce combat toujours renouvelé, entre la Vérité et les Erreurs, entre le Bien et le Mal. Sans l’emporter toujours, mais en maintenant, du moins, vivaces les principes de régénération de la Société.
D’autres viendront. Les principes restent les mêmes.

Jacques PLONCARD d’ASSAC

NDLR — Ce texte a été prononcé lors de la journée Chouanne de 1987 à Chiré, année qui marquait le 30ème anniversaire de Lectures françaises. Il a ensuite été publié dans le n° 128 (octobre 1987) de Lecture et Tradition.

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