Les principaux cadres du Front national se réunissaient en séminaire le week-end dernier. Au-delà des questions d’intendance, et même de marque déposée, on attendait une clarification sur l’euro. Elle n’a pas eu lieu. Le FN n’a pas fini d’en entendre parler.
Lu pour vous dans Minute.
La nouvelle est passée inaperçue, elle est pourtant de première importance : François Hollande est devenu premier secrétaire du Front national ! A l’issue de la journée et demie de séminaire destinée à poser les bases de la « refondation » du Front national, le communiqué final, diffusé le samedi 22 juillet en fin de journée, est en effet un modèle de cette capacité de synthèse qui fit la longévité de François Hollande à la tête du Parti socialiste — onze ans ! —. Un poste où il ne fit rien d’autre que de donner l’illusion à chacun qu’il avait été entendu et à tous qu’ils pouvaient cohabiter en parfaite harmonie alors qu’ils n’étaient plus d’accord sur rien — ou sur pas grand-chose.
Ne rien décider, ne pas trancher, chercher à désamorcer les conflits fut sa méthode de direction, et elle lui a plutôt bien servi… jusqu’à un certain point. Mais le Front national n’est pas le Parti socialiste, la culture frontiste n’est pas une culture de gouvernement, ses espoirs d’accéder au pouvoir se sont éloignés. Et on ne voit pas comment ce qui est en germe dans le communiqué final ne produirait pas l’effet inverse de celui recherché, c’est-à-dire comment il n’amplifierait pas la cacophonie, et cela à très court terme.
COMMENT RESTER DANS L’AMBIGUÏTÉ À SON DÉTRIMENT
Dans le cadre de la reconquête de la « souveraineté de notre nation », le FN, tout en disant tenir compte « du message envoyé par les Français lors des élections, et, notamment, des inquiétudes exprimées par une partie d’entre eux sur la question de l’euro », affirme qu’il proposera à ses adhérents « de nouvelles modalités et un nouveau calendrier afin de retrouver, de manière successive et sur la durée d’un quinquennat, nos différentes souverainetés ». « En commençant prioritairement, ajoute-t-il, par la souveraineté territoriale et donc la maîtrise de nos frontières migratoires et commerciales ». Applaudissements — mesurés— sur les bancs de la droite, où, si l’on déplore que le mot d’identité et celui de civilisation n’y figurent pas — la souveraineté est même définie comme l’unique «objectif fondamental »… —, on se réjouit de l’avancée par rapport à ce que l’on vient de connaître…
Mais aussitôt, ce même texte qui semble pesé au trébuchet ajoute : «Afin de se donner le temps nécessaire, le recouvrement de la souveraineté monétaire clôturera ce processus. » Stupeur et désolation sur les mêmes rangs… et jubilation chez les «nationaux-républicains». Ainsi que l’on appelle les (maigres) troupes philippotistes, qui ne voulaient à aucun prix de l’abandon de la sortie de la zone euro, ainsi que Joffrey Bollée, directeur de cabinet de Philippot, l’avait malignement signifié à tous les cadres frontistes dans sa dernière note argumentaire, produite le 10 juillet, reprochant à Jean-Luc Mélenchon de ne presque jamais aborder le sujet de «la monnaie unique, véritable boulet de l’économie française ».
L’ambiguïté demeure donc et si François Mitterrand pouvait affirmer, après le cardinal de Retz, qu’« on ne sort de l’ambiguité qu’ à son détriment », la maxime vaut pour celui qui est au pouvoir, pas pour celui qui aspire à y accéder. A celui-là s’applique, de façon plus prosaïque, la sentence de création plus récente : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. » Surtout, elle ouvre la voix à toutes les interprétations possibles, ainsi qu’aux questionnements à répétition qui ont fait une partie du supplice de la seconde partie de l’entre-deux tours, et ne peuvent que prolonger le feuilleton… et attiser les querelles.
Pour les uns, désireux d’en finir avec cet autre boulet qu’est la sortie de l’euro, le fait que le « recouvrement de la souveraineté monétaire » soit placé en clôture du processus peut — et va — se traduire, dans leurs déclarations publiques, par le fait que la question n’est plus prioritaire, ce qui est vrai. Mais pour les autres, qui ont fait un casus belli de son abandon, le fait que ce même « recouvrement de la souveraineté monétaire » figure toujours parmi les objectifs peut et va également se traduire dans leurs déclarations par le fait que le projet est toujours à l’ordre du jour, ce qui est tout aussi vrai. Marine Le Pen aurait-elle voulu entériner l’existence de courants au sein de son parti qu’elle ne s’y serait pas prise autrement
L’ENCRE À PEINE SÈCHE, PHILIPPOT SORTAIT SA VIDÉO
A ce jeu-là, il n’y a généralement que deux vainqueurs possibles : ceux qui parlent le plus fort et ceux qui communiquent le mieux. Or l’encre du communiqué était à peine sèche que Florian Philippot balançait, sur sa chaîne YouTube, un court-métrage titré « Une monnaie pour l’emploi » réalisé pour son association Les Patriotes et qui n’attendait manifestement qu’à être diffusé… Influer, c’est prévoir. Influer, c’est savoir anticiper sur la conclusion des débats pour pouvoir en livrer aussitôt la lecture qui convient.
La ligne directrice de cette vidéo didactique : la calamité des calamités, c’est l’euro ! «Austérité», «chômage», «précarité», « désindustrialisation » et même «matraquage fiscal» — mais quel rapport ? —, tout cela est dû à l’euro ! Un euro placé sous la domination de l’Allemagne qui œuvre à notre affaissement, cela va sans dire.
Mais ce n’est pas tout : même dans les domaines de la sécurité, de l’écologie, des services publics et… de l’immigration, tout est de la faute de la Banque centrale européenne !
« Alors débarrasser la France de l’euro, oui, c’est nécessaire », embraye la voix off qui est celle de Thomas Laval, le très philippotiste vice-président du groupe FN-Les Patriotes au conseil régional du Grand Est, avant que ne surgisse un petit bonhomme ressemblant comme deux gouttes d’eau à Florian Philippot qui vient expliquer que la sortie de l’euro permettra «de créer de très nombreux emplois et du pouvoir d’achat pour tous». Et aussi résoudre la question migratoire ?
Encore une fois, Marine Le Pen n’a pas voulu tranchet Ou plutôt, comme depuis le début de son ascension politique, elle est tiraillée entre ce qu’elle pense, et qui correspond à ce qu’il est convenu d’appeler « la ligne Philippot » et un parti qui lui pèse. Qu’elle n’a cessé d’essayer de contourner, mais avec lequel elle est bien obligée de composer quand la fracture entre elle et lui — et eux, ses cadres, ses militants, ses sympathisants — devient trop grande. Au final, les occasions manquées se multiplient. Le congrès de début 2018 pourrait bien être celui de la dernière chance.
Marc Bertric
Minute n°2832 du 26 juillet 2017