Retour sur les attentats et les enquêtes

En plus d’un mois et demi de travail, les enquêteurs ont amassé beaucoup de données – des milliers de pages de notes ont été rédigées – dont quelques éléments ont été glissés à certains journaux. Ce genre de fuites étant désormais habituel dans un but évident de communication voire parfois de manipulation. Nous y retrouvons des éléments qui suscitent de nouvelles questions.

Quelles armes ?

Parmi les sujets troublants, s’impose celui des armes et des munitions utilisées par les terroristes ou la police lors de l’assaut à Saint-Denis. Li­bération, pourtant très politiquement correct, a participé aux critiques. Puis L’Obs, le Parisien, le JDD, etc. Comme certains policiers ne l’avaient pas caché, à propos de l’attaque à Saint-Denis le 18 novembre, le quotidien a posé la question du «mystère des kalachnikovs disparues ». Rappelons que l’attaque a été l’objet d’un récit fait par les forces de l’ordre puis dans la presse. Selon le procureur Molins, les 110 policiers du RAID et de la BRI qui auraient fait usage « à eux seuls » de 5 000 balles lors d’un assaut ayant duré sept heures ( ?), auraient été confrontés à des tirs nourris. Le 24 novembre, François Molins revint sur l’affaire, il parla de « tirs nourris » des terroristes mais an­nonça la découverte dans les décombres de l’appartement, d’un seul « pistolet automa­tique de marque Browning et de calibre 9 mm et son chargeur vide, des éclats de grenade et deux gilets explosifs… les terroristes ont… riposté… par des tirs nourris… mais fait usage de grenades offensives… ». Europe 1 aurait évoqué des policiers blessés par des tirs de kalachnikovs. Sans preuve. Après l’inter-vention, le ministre de l’Intérieur affirma, lui aussi, que les policiers engagés avaient « es­suyé le feu pendant de nombreuses heures »

(Libération, 26/11/2015). Dans son intervention devant la presse, le procureur Molins parla de « tirs nourris et quasi ininterrompus ». Il confirma que la police avait tiré « plus de 5 000 munitions ». Trois terroristes dont Abaaoud – cerveau présumé –, ont été tués.


Le récit du raid de Saint-Denis

Le lendemain, le directeur du RAID, Jean-Michel Fauvergue, donne trois en­tretiens à la presse. Il parle de terroristes « sans doute armés de kalachnikovs et de gilets explosifs », du chien envoyé et tué par un fusil à pompe. « L’échange de tirs dure entre une demi-heure et trois quarts d’heure ». D’autres tirs de « kalach­nikovs » se poursuivent… M. Fauvergue sur Europe 1 parla de beaucoup de mu­nitions, de « deux ou trois kalachnikovs ». Or ni le fusil à pompe, ni aucun kalachnikov n’ont été retrouvés dans les ruines de l’appartement. Seul le pistolet de 9 mm a été ramassé. Et quelque 300 cartouches vides et non 5 000 auraient été trouvées dans les gravats (L’Obs, 26/11/2015).

On peut se demander si une commission d’enquête parlementaire réclamée par certains, serait à coup sûr un bon catalyseur de la vérité ?

L’intense tension et le bilan du Bataclan auraient-ils fait commettre des er­reurs d’appréciations ? De plus le rapport d’autopsie montre que la mort d’Abaaoud à Saint-Denis est due à l’explosion de la ceinture d’explosifs portée par un compagnon non identifié ; mais, plus surprenant, il révèle qu’aucun des quelque « 5 000 tirs » que le RAID affirme avoir tiré (dans un espace assez réduit), n’a atteint sa cible. Sa cousine Hasna n’a pas non plus été touchée par les tirs massifs. Elle est morte asphyxiée sous les décombres. Tant pour éclairer ces zones d’ombres sur les interventions des forces de l’ordre que pour faciliter le travail des juges d’instruction ayant reçu une quarantaine de « notes déclassifiées » de la DGSI sur le suivi des djihadistes depuis 2011, afin de comprendre ce que d’au-cuns qualifient un peu vite de « rendez-vous manqués du renseignement » (Le Monde), rien ne doit être caché. Néanmoins on peut se demander si une commis­sion d’enquête parlementaire réclamée par certains, serait à coup sûr un bon ca­talyseur de la vérité ? Revenons à ce qui est à peu près établi.

La place de Bruxelles dans l’organisation terroriste

Les enquêtes ont beaucoup avancé sur cette question. Elles montrent com­ment ont fonctionné et continuent sans doute de le faire, les réseaux du ter­rorisme islamique. Les attentats parisiens sont bien le fait de djihadistes francophones, belges et français. Si les trois terroristes du Bataclan étaient « fran­çais », ainsi qu’un (ou deux ?) des suicidés du Stade de France, les autres étaient belges. Salah Abdeslam, présenté comme le cerveau de l’opération parce qu’il fut le seul à avoir prévu son retour à Bruxelles, était franco-belge. Parmi les hommes qui l’on vraisemblablement aidé, six sont belges et un est français. Si certains s’étaient rencontrés en Syrie dans les rangs de l’EI, il faut savoir que la capitale belge est, depuis des années, une base de repli essentielle pour une nom­breuse diaspora maghrébine naturalisée française. Ils bénéficient des aides d’une forte communauté musulmane.

Le jour précédent l’attentat, Hasna avait touché un mandat de 750 euros en­voyé par un correspond belge. Il faut bien se rappeler que, le 9 septembre 2001, deux terroristes d’Al-Qaida, s’étant fait passer pour deux journalistes, étaient venus dans le Nord-Est de l’Afghanistan officiellement pour filmer un entretien du commandant Massoud. Ils firent exploser leur caméra piégée, se tuant en éli­minant l’opposant aux talibans. Deux jours après, le 11 septembre, les attentats visant les Etats-Unis eurent lieu. Les deux faux journalistes terroristes venaient de Belgique avec des papiers volés aux autorités belges. Ils étaient originaires de Tunisie. Parmi ceux qui les avaient aidés, on connaît trois Français dont Adel Te-bourski, qui ensuite a été déchu de sa nationalité française et expulsé en Tunisie. La caméra (piégée ensuite) avait été volée à Grenoble à un journaliste de France 3. Deux jours après le 11 septembre, fut arrêté un footballeur « belge » appelé Nazir Trabelsi. Il avait participé au trafic de faux papiers ayant servi aux pseudos journalistes et, surtout, on le soupçonnait de préparer un attentat contre la base militaire américaine de Kleine Borgel en Belgique. Ajoutons une autre fi­gure du terroriste islamique de même origine, Djamel Beghal, un franco-algérien qui, arrêté à Dubaï, avait reconnu avoir être envoyé pour diriger Trebalsi. Il revint ensuite sur ses aveux. Il fut néanmoins le mentor d’autres terroristes malheureu­sement bien connus aujourd’hui : les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, les tueurs de Charlie Hebdo.

Signalons aussi que les terroristes belges et français ont participé à deux at­tentats très meurtriers : Casablanca (mai 2003), 45 morts dont douze terroristes et celui de Madrid (mars 2004), qui fit 191 victimes dans les trains de la banlieue madrilène. Le groupe qui les revendique, le GICM, comprend des anciens d’Af-ghanistan, basés en France et en Belgique. Selon Élise Vincent, ce ne fut qu’en février 2006, que l’alliance franco-belge fut officielle en se dotant de sites Inter-net pour diffuser des textes de propagande, les premières vidéos de décapita­tions… Ce fut d’abord un point de contact pour le recrutement. La journaliste explique que si le salafisme est aussi important en France qu’en Belgique et les filières pas moins actives, « en Belgique, l’islam radical est beaucoup moins tra­qué, le droit pénal plus souple » (Le Monde, 24/12/2015).

La première femme européenne convertie à se faire exploser (à Bagdad) fut une jeune femme belge. Car les prédicateurs sont nombreux outre Quié­vrain et peu inquiétés. Cette dernière raison explique l’attirance de certains Français pour le « plat pays » : Mohamed Merah, le tueur de Toulouse et Mon­tauban en 2012, Fabien Clain (la voix qui a revendiqué les attentats de Paris par l’Etat islamique), ont fréquenté leurs confrères belges. Et le coordonateur présumé des attentats de Paris, Salah Abdelsam, est revenu aussitôt à Bru­xelles avant de disparaître grâce à ses amis belges. Nous avons bien affaire à une branche importante de l’internationale du terrorisme islamiste. Mais, bien entendu, surtout pas d’amalgame. Espérons que nos amis belges vont faire des efforts pour une meilleure efficacité. Attendons les conclusions finales des enquêtes.

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