Le souci avec l’esprit Gaulois, avec le Gaulois en général, c’est que c’est un homme de longue haleine, qui sait aussi bien manier la charrue que le glaive. Cela reste dans les gênes. Écoutez ce qu l’on dit de nous à l’extérieur : les Français sont fiers, orgueilleux etc… On ne dirait pas cela si nous étions restés fidèles à nos traditions, à notre vocation ainsi qu’à nos œuvres de conquêtes civilisatrices. On admirerait alors de nouveau LA France. Cela devra revenir, ce la reviendra, mais à quel prix ? Soyons fiers de ces guerriers hirsutes et braves Gaulois, et que chante le coq ! Redécouvrons nos anciens rois : Celtillos, Brennos, Charlemagne, Clovis et toute la troupe jusqu’à notre bien-aimé Louis XVI.
Lu dans La Lettre de Veritas :
On s’est beaucoup moqué, au temps où en Algérie Française nos maîtres faisaient réciter à de jeunes berbères l’Histoire de France en commençant pas cette phrase. Bien sûr, dans nos écoles, les enfants de toutes origines récitaient leur leçon, écarquillant leurs yeux candides, admirant le beau gaulois à longue moustache blonde et casque ailé qui ornait la page.
Et pourquoi n’aurions-nous pas plaisir à imaginer cet ancêtre ? Et de quel droit ne pas le partager avec nos petits camarades, italiens, espagnols, berbères ou arabes ? À notre insu se tissait entre nous tous cette fraternité des temps lointains que nous pensions légendaires ; précisément parce que pour nous les légendes étaient réalité. « Il était une fois… » Oui, il était une fois Jeanne d’Arc, la petite bergère, et nous avions vu paître des moutons sur nos collines plus jaunes que vertes. Il était une fois un grand roi avec une perruque imposante et nous admirions son profil d’aigle si semblable à ceux des gens de nos montagnes couvertes d’arbres torturés par le vent.
Il était une fois, lorsqu’en 6ème, on abordait les civilisations grecques et romaines, un peuple guerrier capable de soumettre à ses lois les territoires les plus vastes et notre cœur se déchirait entre la tristesse de Vercingétorix et l’ordre de César, la sagesse de Socrate, Platon, et lorsqu’un de nos professeurs osait s’y aventurer, celle de Saint Augustin… Cette histoire à laquelle nous croyons à demi mais tout de même davantage qu’à Blanche-Neige et les sept nains, cette histoire tissait entre nous les fils d’une aventure lumineuse et sombre, une aventure qui nous était commune.
Mais les beaux esprits de Paris ont beaucoup réfléchi. Ces enfants de l’autre côté de l’eau ne sont pas comme nos enfants. Ils sont dans un pays qui a eu une histoire particulière. Il faut la leur enseigner. Et patatras ! Quand il n’y a plus d’histoire commune il ne peut y avoir destin commun. Dans la fissure, le coin s’enfonce, l’élargit et la maison s’écroule. Les beaux esprits de Paris imposaient à des terres lointaines les lois de la République mais plus son histoire. Or les lois tiennent par l’histoire. Il n’en fallait pas plus pour que tout devienne bancal. La preuve est qu’en Savoie, en Corse, en Aquitaine on enseigne l’histoire de France qui n’est en rien celle de ces provinces…
Les braves gens de chez nous, je veux dire de l’Algérie Française, se sont accommodés comme ils pouvaient de l’arbre républicain avec des branches plus ou moins de bois coraniques. Cela marchait à peu près dans les villes ; il y avait un préfet, un maire, des élus, cela faisait une espèce de coussin pour amortir les chocs. Surtout, il y avait du respect. En règle générale, les édiles étaient honnêtes. Oh ! Il ne faut pas être par trop irénique : de la corruption, des « arrangements », du népotisme, il y en eut toujours. Finalement, beaucoup moins qu’on eut pu le craindre. Dans le bled, les grandes dynasties arabes (plutôt berbères) étaient respectées, les confréries religieuses se tenaient à carreau.
Mais le proverbe est trop vrai qui dit que le poisson pourrit par la tête, et la tête, c’était Paris. Dès le XIX° siècle, les poètes, les écrivains, les peintres ont admiré, magnifié l’Orient, ses beautés et ses mirages. Un Orient fantasmé ; L’Iran, héritier des Perses n’a rien à voir avec l’Arabie… Les monuments du Croissant fertile n’ont pas de successeurs. L’Islam n’a su ni construire ni conserver. L’Islam pur et dur ne veut voir subsister que ce qui existait au temps du Prophète. On ne voulait pas le savoir à Paris. L’aride magnificence du désert ne peut être comprise que par des âmes hautes. Elle dessèche les cœurs moyens, qui sont légion. L’Algérie est un pays immense, trois fois la France, mais seule une toute petite bande littorale a fait toute son histoire entre les vagues de la mer et celles des dunes. Une histoire de guerre et de mort à laquelle la France a donné quelques années de paix. Une histoire qui broie les hommes depuis la nuit des temps. Il ne fallait sans doute pas réveiller les vieux démons, ou peut-être était-ce inévitable.
Pour fuir cette terrible logique, la menace s’est transportée en France. L’histoire recommence avec l’inconséquence des beaux esprits de Paris. Ils n’ont pas changé, pas compris et ne comprendront jamais. Ils ne savent pas que les djinns se moquent des distances, qu’ils traversent la mer et rient des malheurs qu’ils provoquent. Dans nos écoles aujourd’hui, les enfants viennent de bien des pays qui ont aussi une longue histoire. Les ministres successifs de l’éducation nationale ont fait bien des dégâts ! On menace de faire pire encore. Quelle histoire raconte-t-on aux enfants de nos écoles, aujourd’hui ? Existe-il encore des enseignants comme ceux qui disaient avec fierté : « Il était une fois un beau pays, la Gaule et nos ancêtres étaient les Gaulois… »
La Lettre de Veritas, n° 178, septembre-octobre 2016