Loi et secret professionnel.

À l’occasion de l’affaire dite des Panama Papers, nous avons demandé à Me Jacques Trémolet de Villers, qui a eu à connaître des dossiers aussi sensibles que ceux de Jean-Charles Marchiani ou de Paul Touvier, pour ne citer que les plus connus, de nous parler du secret professionnel.

« Si c’est un combat politique, c’est la guerre »

Lu pour vous dans Minute ce matin :

Minute : L’affaire Panama Papers semble reposer sur une violation du secret professionnel…

Me Jacques Trémolet de Villers : hqdefaultPour l’avocat, le secret professionnel, fixé et entériné par un texte de loi, tient essentiellement à notre fonction. C’est une obligation qui est reconnue par la loi, mais qui est antérieure à la loi. Elle fait partie des droits de la personne à avoir la possibilité de dire ce qu’elle a à dire sans que personne d’autre ne le sache, sur le plan de son âme avec le curé, sur le plan de sa santé avec le médecin, et sur le plan de ses intérêts personnels avec l’avocat. Le secret professionnel est donc quelque chose de très contraignant, puisque cela s’étend à ce que lui dit son client dans son cabinet, à ce qu’il a connu de l’affaire même quand elle est devenue publique, à la nature de cette affaire, etc. C’est pour cela que les mémoires d’avocat sont toujours décevants, parce qu’ils ne peuvent pas dire l’essentiel. Il s’agit donc d’un des pivots de la profession, et en même temps d’un des pivots de la société. Parce que je pense que la société — et je m’inscris en totale opposition à l’espèce d’hystérie de la transparence — a besoin de secret pour vivre. Pierre Boutang a écrit un très beau livre là-dessus, L’Ontologie du secret. Il avait complètement raison : l’être humain repose sur un certain nombre de secrets. On est très loin de Panama Papers… mais finalement pas tant que cela.

Minute : On est un peu étonné toutefois de voir qu’à la fois la justice utilise une violation de secret professionnel, et qu’elle prétend par ailleurs le défendre pour autant de motifs. Où se situe l’équilibre ?

Me Jacques Trémolet de Villers : Il est vrai aussi, lawyer-28838_960_720et il faut le dire, qu’il peut y avoir un abus du secret. Le secret professionnel est une excellente chose sur laquelle on ne peut pas revenir, mais il peut y avoir un abus du secret, quand il n’est plus la protection de la vie d’une personne, ou de ses intérêts profonds, mais la protection d’organisations illégales qui l’utilisent à leurs propres fins. Pour parler simplement, quand des politiques font profession de transparence et organisent leur élection avec de l’argent sale, ce n’est plus la protection du secret des familles ou des personnes, c’est la protection d’une organisation politique qui viole les lois qu’elle prétend imposer aux autres. On ne peut alors nous opposer un secret qui n’est qu’une dissimulation. D’autant que l’homme politique par nature est public, donc tout ce qu’il fait peut être, et doit être mis sous le regard du public. Il se présente aux élections, il se présente pour être élu ; il dit qu’il est le meilleur, donc il doit être propre. Il n’a pas le droit de s’abriter derrière le secret de sa vie privée. En revanche, dans le cas de particuliers, même très riches, qui ne font que leurs affaires, je ne vois pas pourquoi on irait les poursuivre.

Minute : En l’occurrence, dans cette affaire, vous pensez donc qu’on peut utiliser des documents obtenus illégalement ?

pirate-1445554107s1rMe Jacques Trémolet de Villers : Si c’est un combat politique, c’est la guerre, et j’allais dire : tous les coups sont permis. En la matière, je suis comme le pape François, je suis pour qu’on mette tout sur la table. Je comprends le secret d’État, pour les princes, pour les rois, dans les négociations où sont impliqués des royaumes entiers qui peuvent ensuite disparaître dans la guerre. Mais en ce qui concerne ces campagnes électorales, je n’ai aucune réserve.

Minute : Le Parlement européen vient d’adopter une directive sur le secret des affaires. N’y a-t-il pas là une contradiction ?

Me Jacques Trémolet de Villers : Dans ce domaine-là, aucune assemblée, qu’elle soit européenne ou nationale, n’est capable de faire quelque chose de cohérent : il y a trop de monde, trop d’intérêts contradictoires. Il s’agit d’une question essentiellement régalienne, qui ne peut être traitée qu’au sommet de l’État, par un vrai chef d’État, par un prince au sens de Machiavel : celui qui commande. Mais, aujourd’hui, aucune autorité au monde n’est capable de le faire. Et surtout pas en France. Et donc c’est le grand bazar.

Minute : Y a-t-il donc un moyen de réguler ou de moraliser cette pratique ?

Me Jacques Trémolet de Villers : Le seul moyen de la réguler, c’est la conscience des avocats, de ceux qui sont concernés. Il faut un jour ou l’autre se dire que tout n’est pas dans les lois, que tout ne peut pas être dans les lois. Il y a aussi la question des mœurs, la question de la formation. L’avocat détenteur d’un secret sait jusqu’où il peut aller. Mais on ne peut pas violer ce domaine au nom de l’abus que pourrait en faire l’avocat. Et il vaut mieux supporter certains abus, qu’on peut rattraper par ailleurs, que de démolir le secret, parce que s’il n’y a plus ce secret, c’est la fin du monde. Il n’y a plus d’espace de liberté pour personne. Le secret est la protection de la liberté des individus. Et cela n’a pas de prix même s’il y en a qui en profitent.

Olivier Figueras

Minute

 

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