Le Great Reset, ou comment forger le monde d’après – Entretien avec Éric Verhaeghe

Le Great Reset : mythes et réalités - suivi du dictionnaire du Great Reset

Éric Verhaeghe, 52 ans, est ancien élève de l’ENA. Il a quitté l’administration en 2007 pour exercer diverses fonctions patronales. Il a créé plusieurs entreprises, dont Tripalio, spécialisée dans le droit des conventions collectives. Il assume ses prises de position libertariennes et anime Le Courrier des Stratèges. Il a prononcé, lors des dernières Journées chouannes (4 et 5 septembre 2021), une conférence au sujet de son livre : Le Great Reset : mythes et réalités. Suivi du dictionnaire du Great Reset.

Lectures Françaises : Avant toute chose, il serait sans doute intéressant de définir ce qu’est le Great Reset et notamment avec les avancées de Klaus Schwab. Pourriez-vous le faire pour nos lecteurs ?

Éric Verhaeghe : Vous commencez directement par la question la plus difficile et celle qui soulève des débats animés. En français, le Great Reset peut se traduire par la Grande Réinitialisation. C’est d’abord le titre d’un livre rédigé par le fondateur du Forum de Davos, Klaus Schwab. Bien entendu, ce qui compte c’est ce que désigne ce livre sur lequel la définition est forcément de parti pris. Si vous écoutez ou lisez la presse subventionnée par le gouvernement, comme Le Monde ou Le Figaro, vous entendez forcément dire que le Great Reset est un fantasme relevant de la théorie du complot. Si vous écoutez les complotistes, vous concluez que le Great Reset est le nouveau Protocole des Sages de Sion.

En réalité, le Great Reset n’est ni l’un ni l’autre.

Ce n’est pas un fantasme parce que non seulement il est au centre d’un livre publié dans de nombreuses langues et en accès facile sur Internet, mais aussi parce qu’il était au centre de tous les travaux du Forum de Davos en janvier 2021. Pendant plusieurs jours, les chefs d’État sont venus en parler à la terre entière, puisque les débats du Forum étaient diffusés par Internet et sont encore consultables aujourd’hui.

Ce n’est pas non plus un complot, parce que le Great Reset n’est pas au sens propre un plan concerté, détaillé, contraignant, qui prévoirait des actions. Il s’agit plutôt d’une sorte de credo et d’un faisceau d’objectifs à atteindre en commun pour l’ensemble des pays industrialisés. Par exemple, le Great Reset fait l’éloge du multilatéralisme et du « contact tracing ». Or, depuis le départ de Donald Trump et l’arrivée de Joe Biden, le multilatéralisme a repris de plus belle, et le « contact tracing » s’est mis en place à peu près partout grâce aux passes sanitaires.

En ce sens, on peut dire que le Great Reset est une sorte de mémorandum, de pensum, d’almanachs des mesures à prendre pour forger le monde d’après. Aucun gouvernement n’est expressément obligé de l’appliquer, mais c’est chaleureusement recommandé pour tous ceux qui veulent rester dans le peloton des relations internationales.

Il faut surtout souligner ici que le cœur du Great Reset repose sur cette vision de l’ordre mondial selon laquelle les États Nations sont des empêcheurs de tourner en rond. Les instances multilatérales (le G7, le G8, le G20, les COP, l’ONU, l’UE, etc.) sont perçues comme infiniment plus importantes que les gouvernements nationaux et que le suffrage universel. L’objectif est bien là : déplacer le cœur du pouvoir démocratique des urnes vers une caste de technocrates qui « coordonnent » internationalement des politiques qui échappent aux citoyens.

L. F. : Pouvez-vous nous retracer rapidement l’histoire du Forum de Davos dont on entend si souvent parler et qui paraît être un acteur majeur du nouvel ordre mondial ?

E. V. : Le Forum de Davos est une ONG, une organisation non gouvernementale, de la même espèce que les ONG qui organisent les passages de migrants en Méditerranée ou qui œuvrent pour l’écologie. C’est une ONG qui rapporte beaucoup d’argent, puisque Klaus Schwab déclare des revenus annuels de plusieurs millions de dollars. Dans la pratique, il s’agit d’une sorte de syndicat des entreprises transnationales, des grandes entreprises mondialisées, dont Schwab est en quelque sorte à la fois l’homme sandwich et le Monsieur Loyal.

Pour exercer ce rôle, Klaus Schwab a dû travailler dur pendant toute sa vie, et l’on peut lui reconnaître ce mérite d’avoir réussi à unifier les gouvernances mondiales sans avoir jamais exercé le moindre mandat ministériel. En réalité, ce fils d’industriel allemand enrichi sous le nazisme, dont on dit que les parents ont employé de la main-d’œuvre juive gratuite pendant la Guerre, a lancé son Forum en 1969. Initialement, il s’agissait d’une sorte de conférence annuelle des managers internationaux, qui n’avait donc pas vocation à déborder dans le champ politique. Dès le début des années 70, Schwab obtient le soutien de la Commission européenne pour développer ses activités.

Il faut bien comprendre que le destin du Forum de Davos est étroitement lié au destin de la Commission européenne elle-même. Davos est l’organe qui défend les bienfaits du multilatéralisme fondé sur l’intégration régionale comme l’Union européenne en est aujourd’hui l’incarnation. Assez naturellement, la Commission a soutenu ces travaux qui permettaient de diffuser sa vision et ses intérêts. L’intelligence de Klaus Schwab est d’avoir su construire dans la durée un partenariat solide avec des acteurs capables de l’aider et de tirer profit de son développement.

Depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, Schwab a également compris que la Chine constituait un allié de poids qu’il ne fallait surtout pas ignorer. C’est devenu particulièrement vrai lorsque Trump a été élu, et que, d’une certaine façon, l’Amérique a laissé son fauteuil vide dans le concert multilatéral. Schwab s’est alors appuyé sur la Chine pour étendre l’influence de Davos.

On ne sera donc pas étonné de voir que Xi Jinping s’est rendu à Davos ou y est intervenu personnellement, ni de voir que Xi Jinping a personnellement décoré Klaus Schwab. Au demeurant, il y a dans l’idéal communiste la recherche de l’homme nouveau qui fascine forcément Klaus Schwab, dont j’ai évoqué l’arrière-fond germanique et l’enfance passée sous le nazisme.

L. F. : Depuis deux ou trois ans, cette notion de Great Reset est particulièrement présente dans les media, ce qui donne l’impression d’une importante accélération. Qu’en est-il en réalité ? Pourquoi maintenant ? Et quelles en sont les grandes étapes ?

E. V. : Ces questions sont essentielles et ne peuvent être résolues de façon trop monolithique. J’ai déjà insisté sur la dimension non systématique du Great Reset, qui relève du « soft power » et non du programme politique « carré ». Ce qu’on peut constater, c’est que l’ensemble des gouvernements occidentaux adopte aujourd’hui peu ou prou les dispositions exposées ou conseillées dans le Great Reset. On peut même penser qu’il existe aujourd’hui une sorte de course contre-la-montre pour appliquer le plus vite possible les mesures énumérées par Schwab. C’est particulièrement vrai s’agissant du recours accru au multilatéralisme, mais aussi au développement d’outils de crédit social à la chinoise comme le passe sanitaire ou la mise en place du « contact tracing ».

Mais des applications plus discrètes, quoiqu’encore plus structurantes, existent et même prolifèrent. Par exemple, dès le mois d’août 2020, les pays de l’Union ont dû proposer des plans de relance de l’activité intégrant d’importants financements en faveur de la transition écologique. La France n’a pas échappé à la règle. Cette idée est directement issue du livre de Schwab… publié quelques semaines à peine plus tôt.

Pour que Bercy ait bouclé en août un plan correspondant à des écrits publiés en juillet, il fallait vraiment que l’influence ait été travaillée très en amont et qu’elle ait fait l’objet d’une préparation très professionnelle. Selon toute vraisemblance, c’est McKinsey et quelques autres cabinets de conseils qui sont aujourd’hui les meilleurs vecteurs de cette influence. Ce sont eux qui fournissent aux gouvernements les idées, les éléments de langage, les analyses, qui transforment le Great Reset en un plan opérationnel.

Vous posez la question du « pourquoi maintenant ? » et il me semble indispensable de souligner que c’est bien le sujet central qui nous occupe. Il n’existe pas de réponse publique claire à cette question, mais un faisceau de présomptions qui permet d’affirmer que la caste mondialisée qui porte le Great Reset a senti le vent tourner après la crise de 2008. L’élection de Trump, puis le Brexit, ont montré que le suffrage universel permettait tout à fait de détricoter les pièces patiemment assemblées dans la construction multilatérale depuis les années 70 et surtout 80.

Pour la caste, cette perspective est devenue un cauchemar. La montée de ce que l’on appelle injustement le populisme est devenue le signal d’un coup d’arrêt porté au développement constant de la mondialisation. Les grandes entreprises transnationales ont vu ressurgir la peur des protectionnismes. Le renoncement au traité transatlantique de libre-échange en a constitué un moment traumatique.

Il fallait donc reprendre les opérations, mais en contournant les obstacles ou en les éliminant. C’est ainsi que le Great Reset insiste beaucoup sur la mise des populations sous surveillance et sur la zombification des esprits pour limiter les risques d’insurrection ou de déstabilisation des systèmes existants. D’une manière générale, le Great Reset acte la fin de la démocratie libérale et la transition vers un système plus autoritaire, comme à Singapour ou même en Chine.

Tout le monde se souvient ici de la petite musique qui est revenue souvent au début du confinement, sur la capacité des régimes autoritaires asiatiques à imposer des mesures expéditives de « protection ». Cette musique en disait long sur l’espoir qui habite la caste de pouvoir se rendre maîtresse des populations en ne s’embarrassant plus des droits de l’homme. Tout est possible dès lors qu’il s’agit de protéger le multilatéralisme et ce qu’on appelle indûment le libre-échange.

Dans cette vision, le Great Reset s’étale sur plusieurs années, et doit aboutir au moment suprême, en quelque sorte, qui sera le Great Reset monétaire. Ce volet financier fait l’objet d’une intense préparation des banques centrales, au demeurant avec une certaine transparence pour les populations. Là encore, il ne s’agit pas de conjectures complotistes, mais d’une lecture simple, pour ainsi dire première, des documents publiés par ces instances elles-mêmes.

Par exemple, la Banque Centrale européenne a publié cet été son programme pour le Great Reset monétaire, qui consistera à remplacer la monnaie scripturaire (le « cash ») par une monnaie numérique entièrement à la main de la banque. Grâce à ce dispositif, les politiques économiques seront simplifiées et l’indépendance des populations complètement remise en cause grâce à la monnaie.

Par exemple, la BCE a très officiellement expliqué qu’à partir de 2025, elle pourrait automatiquement imposer des pénalités à tous ceux qui se dotent d’une épargne de précaution. C’est la meilleure façon d’empêcher les populations de faire sécession de leur gouvernement, de les forcer à obéir en quelque sorte.

Mais l’euro numérique peut tout à fait servir à d’autres choses. On peut par exemple imaginer qu’il permette à la banque centrale de limiter la consommation individuelle d’essence dans l’année, pour des motifs écologiques. Techniquement, rien ne s’opposera à ce que, une fois passé un certain quota de carburant, la BCE vous ôte la possibilité de continuer à vous approvisionner, tout simplement en bloquant la transaction dont elle aura la maîtrise.

Il faut comprendre ici que la fin du Great Reset n’est donc pas pour demain. L’objectif est de transformer le monde jusqu’à la généralisation des monnaies numériques émises par les banques centrales, et tout indique que ces opérations ne peuvent intervenir avant trois ou quatre ans.

L. F. : Cette machine infernale semble être indestructible et l’émergence de cette société terrifiante, inéluctable. D’après vous, où se situent les fronts de combats pour le citoyen lambda ?

E. V. : C’est un peu une question à la madame Irma et l’on doit forcément répondre avec beaucoup de prudence. Mais il me semble que deux configurations majeures peuvent se présenter.

La première est celle où Donald Trump remonte sur le ring et remporte la prochaine élection présidentielle aux États-Unis. C’est évidemment le scénario catastrophe pour la caste, et l’on comprend qu’elle ait tant œuvré pour déloger le président américain. Les polémiques qui ont entouré sa défaite, notamment les polémiques sur l’honnêteté du dépouillement, montrent la violence des enjeux qu’il y avait dans le résultat de ce scrutin.

Dans tous les cas, Donald Trump peut se targuer d’avoir recueilli un volume important de voix, qui montrent que sa défaite était tout sauf évidente et inéluctable. S’il devait revenir au pouvoir, la donne changerait forcément, ne serait-ce que par les représailles prévisibles qu’il exercera contre les GAFAM et leur propagande bien rodée.

Dans cette hypothèse, les forces de la résistance trouveront plus facilement les moyens nécessaires pour neutraliser les agissements de la caste dans chaque pays.

Si Trump ne regagne pas le pouvoir, la situation sera plus compliquée et, plus que jamais, nous devrons cultiver la sécession. Celle-ci consiste à organiser autant que faire se peut une vie indépendante des caprices qui marquent la gouvernance de notre société par la caste.

Cette sécession passera par quelques gestes simples : savoir exprimer nos convictions et nos valeurs dans la longue nuit que la caste cherchera à imposer, mais aussi savoir débrancher nos téléviseurs et nos postes de radio, savoir vivre plus frugalement pour moins dépendre de l’argent versé par la caste et par les banques centrales pour nous asservir.

Mais je voudrais insister sur un point, il s’agit de scénarios catastrophes et il est vraiment trop tôt pour se prononcer. Pour l’instant, nous vivons des situations en trompe-l’œil et les gouvernements occidentaux nient tout simplement la résistance populaire à leurs mesures liberticides. Mais le prix à payer pour imposer des mesures impopulaires sera de plus en plus élevé.

Ce sera particulièrement vrai si les effets secondaires des vaccins sont aussi catastrophiques que nous les pressentons. Dans cette hypothèse, tous ceux qui ont obéi à la caste en partant du principe qu’elle était compétente et responsable risquent de produire un méchant effet boomerang. Prenons le temps de voir venir, donc, et ne cédons ni à la panique ni au découragement. Le combat sera long, mais nous sommes plus nombreux qu’eux.

Propos recueillis par Mickaël SAVIGNY