L’autorité : condition du bien commun

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Dossier sur l’autorité. Suivre Dieu et ses commandements afin d’y conduire les générations dans un mouvement harmonieux est la fin ultime d’une société chrétienne. Or, pervertie par le péché originel, la nature humaine ne penche plus d’elle-même dans cette direction : il y faut un soin et une disposition qui ne s’appliquent pas sans volonté, ni non plus sans adhésion.

Lu pour vous dans Famille d’abord.

Mais ces évidences sont aujourd’hui particulièrement absentes du discours commun, tant le contexte actuel s’y prête visiblement de moins en moins. C’est la raison pour laquelle, suivant ce constat et à la suite d’Aristote et des commentaires qu’en a donnés saint Thomas d’Aquin, il faut de toute urgence s’interroger sur les conditions d’un retour à l’harmonie chrétienne des sociétés.

C’est ici que le respect de la notion d’autorité prend toute sa place, comme condition néces-saire à la poursuite de cet objectif.

C’est pourquoi, avant de dénoncer les conditions funestes qui rendent son exercice difficile, il convient d’abord de considérer l’autorité elle-même et d’en déterminer quelques principes pour en livrer une définition sommaire. Alors, il deviendra plus simple de dégager les modes d’action favorables dont dépend la poursuite du bien commun.

L’autorité : une force nécessaire

Dès que l’on évoque la notion d’autorité, il y a souvent confusion. Entendue communément comme le moyen par lequel la puissance s’impose, confondue avec le pouvoir qu’elle sert, avec la seule discipline, ou encore avec son défaut connexe, l’autoritarisme, l’autorité est rarement connue pour ce qu’elle est avant tout : une capacité légitime à obtenir l’obéissance et l’adhésion par d’autres moyens que la contrainte ou l’exhibition de la force. En réalité, la chose est confondue avec son exercice, la fin avec les moyens, l’essence avec les accidents.

Dans un premier temps, considérons les deux mots importants de cette première définition possible : la capacité, autrement dit l’aptitude, et la légitimité, c’est-à-dire la conformité avec la justice.

Parler d’aptitude, c’est faire appel à deux exigences : la première repose sur les capacités foncières naturellement détenues, la seconde sur l’éducation et l’enseignement reçus. S’il est difficile d’agir sur la première, la seconde mérite en revanche, dès le plus jeune âge, une attention de tous les instants : c’est le champ d’action privilégié de l’action parentale puis de l’école.

Ensuite, pour un catholique, évoquer l’aspect légitime de l’autorité revient à suivre ce que souligne saint Paul au chapitre 13 de son épître aux Romains : « il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu ». C’est simple et sans appel. Et cela signifie clairement que ceux qui y sont soumis la reconnaissent d’eux-mêmes pour ce qu’elle est, et pour ce qu’elle leur impose par sa nature propre. En un mot, c’est pour le païen, affaire de simple signification, de prestige ou de symbole, mais pour le chrétien, d’adhésion choisie à la puissance divine déléguée et hiérarchisée – du grec hiéros qui signifie sacré. D’où la notion implicite de force nécessaire.

Et c’est aussi la raison essentielle pour laquelle il est fait mention d’adhésion : il est bien connu que Dieu ne force que rarement la main et qu’il laisse la liberté s’exprimer. La Foi n’a pas besoin de preuves : la véritable obéissance n’a pas besoin de contrainte formelle. La force réside ailleurs : dans l’essence et dans l’origine ultime de l’ordre donné. Dans la vérité. Et Socrate ne dit pas autre chose quand il lance à son disciple : « c’est à la vérité, cher Agathon, que tu ne peux résister, car à Socrate ce n’est pas difficile » (Banquet 201c).
Ainsi, en dépit des contraintes qui s’exercent, l’autorité doit être considérée comme la force motrice légitime, qui dirige une société vers sa fin ultime.

Un contexte défavorable

Empoisonnée par l’héritage de la Renaissance et celui des Lumières (pour faire court), la société tout entière (familles, associations, assemblées, gouvernements) subit les principes mortifères de la démocratie. Suivant cela, deux raisons majeures s’opposent à l’exercice harmonieux de l’autorité : l’une tient au sujet et l’autre à l’objet.

Du fait de leur mission et de leurs obligations, la faute revient d’abord à ceux qui sont en charge de l’autorité : globale-ment nommés les chefs ou les responsables. Il n’est pas difficile, souvent, de relever chez nombre d’entre eux le manque de compétence ou le désintérêt pour le bien commun. La position sociale, la possession matérielle et la jouissance du pouvoir semblent leur suffire : ils se situent ainsi aux antipodes de l’ordre sacré et transcendantal. A la force de la vérité, se substitue alors le seul charisme d’un individu, dont l’histoire rapporte obstinément les vanités et les inanités dangereuses.

Mais il y a probablement ici la faute la plus importante car la plus répandue et la plus dé-pendante de notre volonté propre : l’indocilité grandissante de ceux sur lesquels l’autorité est amenée à s’exercer. En effet, très souvent :
· dédaigneux de la hauteur de vue de son chef ou d’une position permettant de mieux mesurer les enjeux, le subordonné est en-clin à penser que le chef se trompe lorsque la décision prise est contraire à sa propre opinion ;
· le subordonné n’apprécie pas que son chef ne le consulte pas avant de prendre une décision ;
· le subordonné considère comme un dû d’être consulté et s’offusque quand son conseil n’est pas suivi ;
· le subordonné ne fera l’aumône de son obéissance que lorsqu’il sera d’accord ;
· le chef a le droit de prendre des décisions, mais il doit faire attention à ne pas toucher aux droits du subordonné : les syndicats excellent à défendre ces prétendus droits inviolables ;
· l’autorité n’a pas le droit à l’erreur : le moindre faux pas est jugé, allègrement critiqué et condamné par des subordonnés impitoyables qui s’affranchissent de toute forme de déférence ;
· l’autorité n’a que la force que le subordonné veut bien lui reconnaître : dans la ligne de Mai-68 et de Vatican II, la soif de l’indépendance fait oublier la transcendance du pouvoir et son origine divine.

Notons bien au passage, et chacun pourra le reconnaître dans les exemples cités, que la démocratisation des esprits s’est répandue jusque dans nos rangs. Le libéralisme est à l’œuvre partout et pervertit même ceux dont on attendrait qu’ils s’en défendent.
Bien entendu, il n’est pas aisé de combattre cette situation. Mais l’observation de quelques règles simples semble toutefois pouvoir y aider.

Reconstruire

L’homme-chef du XXIe siècle, ramolli, dévirilisé, doit d’abord combattre ses propres carences et développer les qualités qu’exige l’exercice de son autorité. Il lui faut donc reprendre sa relation avec Dieu, retrouver le sens de l’engagement et la force de caractère nécessaire : alors, à son exemple, les autres hommes et les sociétés suivront. Parce que c’est l’ordre voulu par Dieu.

A l’évidence, il est difficile de délivrer des recettes qui pourraient n’apparaître que comme des vœux pieux, des injonctions faciles. Toutefois, il faut bien tenter de dégager des axes d’effort et de pratique, sans quoi le constat demeure vain.

Aussi, la qualité du contact humain auquel le chef doit s’astreindre sous peine d’échec, trouve ici toute sa place : c’est par elle que les principes donnés pourront s’appliquer. Il lui faudra notamment prendre le temps de communiquer davantage pour éviter les incompréhensions ; il devra également faire preuve d’autorité en cas de « mutinerie » pour faire comprendre ou rappeler qui en est le détenteur. Et il devra surtout fuir absolument toute recherche inquiète de consensus, et s’affirmer au contraire avec fermeté et avec douceur en même temps, pour ne pas braquer des subordonnés trop raides.
Enfin, sous ces auspices et sans prétendre à l’exhaustivité, le chef devra s’attacher à développer les qualités suivantes :

Vis-à-vis de l’œuvre à accomplir : la compétence, le sens du réel et la foi en sa tâche. L’autorité doit être capable d’assumer et d’assurer sa fonction pour atteindre son but. Il lui faut être objective sur ses défauts, sur la difficulté de la mission, sur les capacités et les besoins de ceux qui lui sont confiés. Enfin, l’exercice de l’autorité nécessite d’être motivé et enthousiaste dans la réalisation des devoirs. Il lui faut alors lutter contre toute forme de pessimisme ou de désespérance.

Vis-à-vis de soi : décision et ténacité, désintéressement et humilité. La douce fermeté sera toujours considérée avec reconnaissance. L’intérêt personnel égoïste ne peut constituer la motivation principale, même si l’ambition au service de la mission reste légitime : c’est la magnanimité.

Vis-à-vis des personnes. Enseigner le sens hiérarchique par l’exemple de la docilité pratique observée envers ses propres supérieurs. Délégation et maîtrise de soi : il s’agit de savoir confier le travail à ses subordonnés et ne pas exécuter des tâches qui sont les leurs. Il faut savoir se maîtriser pour ne pas se laisser influencer pas ses sentiments afin de demeurer juste. A cet égard, s’affranchir de l’usage de la sanction (récompense ou punition) est une faiblesse coupable qui conduit au désintérêt et à l’inefficacité.

Humain/cordial : même si ce n’est pas toujours facile, il est important pour le chef de se mettre à la place des gens qu’il dirige, de savoir les comprendre, les écouter et s’adapter à leurs besoins.

Sens professionnel : cette qualité fait écho à la précédente. Dans son effort pour être humain, le chef doit éviter l’écueil de la démagogie et ne jamais perdre de vue l’objectif à atteindre.

Alors la recherche du bien commun s’en trouvera heureusement facilitée. Les pages qui suivent l’illustrent : aucun domaine d’action n’échappe à ces règles.

Hubert le Roux

Famille d’abord. n°35 de mars 2018.

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