La pieuvre Google élargit ses zones d’interventions

Le 28 avril dernier, puis un mois plus tard, furent annoncées sans grand bruit deux décisions confirmant, s’il était besoin, les appétits du groupe. La première concerne l’Europe et la France. A la fin de cette année, le Fonds pour l’innovation numérique de la presse (FNIP) cessera son activité : en trois ans, il avait distribué quelque 60 millions d’euros à des éditeurs français. Il sera remplacé par une autre structure, le « Digital News Initiative » (DNI), dotée de 150 millions d’euros (pour trois ans) destinés aux éditeurs de l’Europe. La DNI doit nouer des collaborations avec les media européens. La raison est d’bord diplomatique car Google doit faire face à des critiques et menaces de certaines autorités du vieux continent. Au départ, ont été choisis comme partenaires huit entreprises de presse dont : Les Echos (France), le Frankfuter Allgemeine Zeitung et Die Zeit (Allemagne), le Financial Times (Royaume-Uni), NRC Media (Pays-Bas), El Pais (Espagne), La Stempa (Italie). D’autres ententes sont prévues. Concrètement, les éditeurs français devraient recevoir moins d’argent qu’avant. En 2013 et 2014, le FNIP avait donné environ 16 millions à une grosse vingtaine de projets financés ainsi à hauteur de 60 %, par exemple la création d’une édition numérique du matin, le développement de plates-formes payantes… Sans surprise, en ont profité des media déjà financés solidement mais aussi politiquement très corrects : Le Monde, Libération, Le Figaro, Rue89, BFM-TV, Alternatives économiques… soit, à part Le Figaro, tous des journaux s’affichant à gauche et bénéficiant des aides d’Etat à la presse. Il faut savoir que le FNIP fut créé en 2013 par Google et l’Association de la presse d’information politique et générale (AIPG), pour mettre fin au conflit ayant éclaté entre les éditeurs français et le moteur de recherche américain. Celui-ci était « accusé de profiter des contenus des media, notamment avec Google Actualités, sans compensation suffisante » (Le Monde, 29/04/2015).

Carlo d'Asaro Biondo, vice-président de Google © Photo repro dr
Carlo d’Asaro Biondo, vice-président de Google © Photo repro dr

La DNI est donc une extension à l’Europe des partenariats initiaux réservés aux Français. En Europe, le litige sur les droits avait été également soulevé. Une association regroupant 50 % des éditeurs allemands a demandé que soit appliquée une loi de 2013 qui contraint Google à rémunérer les média dont il reproduit une partie des contenus. En Espagne, une loi semblable a conduit Google News à fermer. Avec le nouveau fonds (DNI), devront travailler des groupes de travail (de Google et des éditeurs) afin de réfléchir à des produits destinés aux journalistes. Bref, le groupe américain renforce ses liens avec ceux qui le redoutaient naguère. Le 25 mars, Carlo d’Asaro Biondo « président des opérations de Google Europe du Sud, de l’Est, Moyen-Orient et Afrique » n’a pas caché les ambitions mondiales de son groupe : « Google s’intéresse au journalisme car c’est un des fondements de la démocratie. Nos internautes, dans le monde entier, ont besoin d’une presse forte. » Forte et alignée, pourrait-on ajouter. Si Google a lancé une campagne de promotion en France et en Europe, c’est afin de convaincre de sa puissance, mais aussi pour préparer ses arguments juridiques : le 15 avril dernier, la commission européenne lui a notifié son accusation d’abus de position dominante sur la recherche en ligne. Le trust a les reins très solides. En calmant les groupes de presse à coup d’aides multiples et en activant ses appuis mondiaux, il devrait ne pas avoir de difficultés à trouver un terrain d’entente avec la commission. Entre mondialistes convaincus, on se comprend.

Ruth Porat  By Jin Lee/Bloomberg News [CC BY 1.0], via Wikimedia Commons
Ruth Porat By Jin Lee/Bloomberg News [CC BY 1.0], via Wikimedia Commons

La seconde décision survenue fin mai, procède de la même manœuvre de défense du trust. Ruth Porat (photo), 57 ans, qui dirigeait, jusque-là, la banque Morgan Stanley, a accepté le 26 mai de prendre la direction finan­cière de Google. Il y a deux ans, sollicitée par Obama pour le poste de sous-secrétaire au Trésor, elle avait refusé l’offre. Surnommée comme la « femme la plus puissante de Wall Street », elle semblait destinée à prendre le siège de PDG de Morgan Stanley. A son nouveau poste, son influence n’en sera pas diminuée. Google pèse cinq fois plus lourd en Bourse que la multinationale financière. Comme « cadeau » de bienvenue en Californie, Mme Porat a touché du trust informatique 70 millions de dollars. Elle est connue pour son ambition et pour son travail acharné. Elle a contribué à plusieurs sauvetages de groupes ou de banques, en conseillant les chefs d’entreprises comme le gouvernement, lors de la crise des « subprimes ». Depuis 2010, directrice financière de   Morgan Stanley, elle a travaillé à la transformation de la banque qui aujourd’hui retrouve ses meilleurs résultats depuis 2007. Son père Dan Porat est né dans une famille juive de Pologne. Après avoir servi dans l’armée britannique au Proche-Orient, il émigra aux Etats-Unis où il devint un physicien de haute volée. On peut penser que l’expérience reconnue de Ruth Porat dans l’adaptation à la nouvelle régulation financière, a été une des raisons principales du choix de Google qui est aussi sous la surveillance des régulateurs. Elle sera une conseillère précieuse quand le géant informatique et financier devra faire des choix. Ayant atteint une taille monopolistique dans la recherche en ligne, le trust est une puissance : plus de 107 milliards de dollars en valorisation boursière… Il investit sans arrêt dans les recherches (santé, transports, aménagements, media…). Il garde une cagnotte de 60 milliards de dollars de trésorerie (sic) et ses investisseurs lui reprochent de faire du surplace. Certes à côté de ces niveaux, les tracasseries respectueuses de Bruxelles comptent bien peu. Le contrôle de Google sur des pans entiers des activités mondiales ne laisse pas moins d’inquiéter.

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