Pour tous ceux qui s’intéressent aux dernières années de l’Algérie française, La Déchirure est un ouvrage indispensable, incontournable. De la Toussaint rouge, 1er novembre 1954, à la loi du 3 décembre 1982, dernière étape législative de l’amnistie totale « effaçant les séquelles de toute nature des événements d’Algérie », Ramu de Bellescize s’est livré à un véritable travail de Bénédictin pour rassembler tous les éléments constitutifs des drames qui ont marqué cette période.
Que d’événements durant les 28 années qui séparent ces deux dates : le terrorisme FLN, la Bataille d’Alger, le 13 mai 1958, l’Opération Résurrection, le Plan de Constantine, l’éradication de l’ALN avec le plan Challe, la semaine des Barricades, la République Pied-Noir, le référendum de l’indépendance, le Putsch d’Alger, la répression, l’OAS, les barbouzes, les procès, les exécutions, la prison, le mystère de Gaulle, les épurations et les amnisties et bien d’autres encore. Tous sont présentés, analysés, leurs dessous révélés avec de magnifiques portraits de leurs acteurs. En fermant ce livre, on connaît maintenant tout ce qu’on voulait savoir, et même plus, sur les dernières années de l’Algérie française.
Un grand merci à Ramu de Bellescize pour cette somme d’informations mise à notre disposition : après cette lecture, on ne pourra plus dire : « Je ne savais pas »…
Colonel (er) Pierre Brière-Loth : Ramu de Bellescize, vous êtes professeur des Universités en Droit public à Lille et vous êtes l’auteur de plusieurs ouvrages juridiques. Pourquoi abandonner votre spécialité et consacrer un livre aux derniers instants de l’Algérie française ?
Ramu de Bellescize : Le droit a une histoire, il a des origines, et la guerre d’Algérie, tout particulièrement le putsch, l’OAS, les pouvoirs d’exception et les lois d’amnistie soulèvent des questions juridiques et politiques, parmi les plus fascinantes. La première est celle de l’inaliénabilité du territoire. Un chef, qu’il soit empereur, roi ou président de la République, ne dispose pas du territoire, il ne peut l’aliéner car il n’en est pas le propriétaire.
Le général de Gaulle et la majorité du peuple français métropolitain ont décidé, en 1962, qu’il leur était au contraire possible de donner son indépendance à l’Algérie et au Sahara. En s’affranchissant de la règle de l’inaliénabilité du territoire, ils posent la question de savoir qui, au moment du putsch d’Alger, était dans le droit. Les partisans de l’indépendance ont gagné, donc rétroactivement ils ont pu se considérer du côté du droit. Mais le combat des résistants à l’indépendance de l’Algérie française se fondait aussi dans le droit, peut-être même davantage.
La seconde question est celle du devoir d’obéissance. Que l’on soit civil ou militaire, que faire si un ordre donné est manifestement illégal ? S’il va à l’encontre des intérêts de la France ? S’il est en contradiction avec notre conscience ou notre honneur ? La conscience est difficile à définir. « Un couteau ne peut se couper lui-même », dit un proverbe à propos de la conscience : on ne peut pas demander à quelqu’un d’aller à l’encontre de sa conscience. Il a été demandé à des militaires et des civils d’aller à l’encontre de ce qu’ils considéraient comme les intérêts supérieurs de la France. Ils ont refusé. Ils se fondaient sur des valeurs supérieures à l’ordre donné : la sacralisation du territoire, le respect de la parole donnée, le respect de ceux qui s’étaient fait tuer pour que l’Algérie reste française. Je n’ai donc pas abandonné le droit en écrivant ce livre. Je me suis interrogé sur ce que pouvait être le droit durant cette période.
Col. (er) P. B.-L. : La lecture de La Déchirure m’a littéralement ébloui par la richesse de son contenu qui couvre, dans tous les domaines, la période allant de la Toussaint rouge à la loi d’amnistie générale du 3 décembre 1982. Votre livre est un ouvrage incontournable pour tous ceux qui s’intéressent au drame qu’a été la perte de l’Algérie française : il doit impérativement figurer dans leur bibliothèque. En tant qu’ancien officier de Légion, je l’y ai placé en bonne place. Quel a été le fil conducteur de vos recherches et comment avez-vous procédé pour réunir une si impressionnante documentation ?
R. de B. : Une précision d’abord. La période étudiée va de la Toussaint rouge, c’est-à-dire du 1ernovembre 1954, à la dernière loi d’amnistie de décembre 1982. Mais j’ai fait des incursions dans les conflits antérieurs. Pour comprendre l’histoire de l’Algérie d’abord. Mais surtout pour comprendre la position des uns et des autres. Les généraux Ingold, Salan, Zeller ont commencé leur carrière durant la guerre de 14. Le général André Petit a fait la guerre de 40. Il était dans la résistance intérieure. L’engagement de ces officiers dans ces conflits antérieurs, tout particulièrement pour ceux qui ont servi en Indochine, permet d’éclairer leur position sur l’Algérie. Lorsqu’ils sont devant les tribunaux d’exception, comme accusés ou comme juge (le général Ingold, qui démissionnera), ils évoquent ces conflits. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)
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