Jean-Yves Le Gallou dénonce dans cet entretien les grands corps de l’Etat qui servent les intérêts particuliers de la super-classe mondiale au lieu de servir les Français. Il critique aussi largement l’élection présidentielle et les fondements même de la Ve république.
Lu pour vous dans Monde et Vie
Jean-Yves Le Gallou […] est un des principaux analystes politiques aujourd’hui. Il dirige le think-tank Polemia, qui est l’un des poumons de la droite de conviction.
Vous êtes vous-même énarque. Que pensez-vous de ceux qui s’en prennent à l’énarchie française ? Les énarques ne sont-ils pas les conseillers dont tout Prince a besoin, même le prince républicain ?
Jean-Yves Le Gallou : Tout gouvernement effectivement a besoin d’avoir à son service des professionnels de l’administration de la chose publique. Le Gouvernement américain recrute ses hauts fonctionnaires dans ses grandes universités. Le Gouvernement anglais à Oxford ou à Cambridge. En France, une telle formation ne se trouve pas dans les universités mais d’abord dans les grandes Écoles, comme l’ENA, Polytechnique ou les Mines. En soi, ce n’est pas un problème. Mais ces critiques de l’ENA me semblent poser deux bonnes questions : on constate un recul de l’enseignement de l’histoire non seulement d’ailleurs dans les études supérieures mais déjà dans les programmes scolaires. Or c’est l’histoire qui forme les candidats aux tâches qui sont en relation avec la souveraineté. En France, notre souveraineté est une conquête que nous raconte notre histoire. La connaissance de l’histoire n’est donc pas facultative pour former de vrais serviteurs de l’État.
La deuxième bonne question que posent ceux qui critiquent l’ENA ne porte pas tant sur cette École que sur les grands corps de l’État, censés servir avant tout l’intérêt général du peuple français, mais qui, concrètement, servent surtout aujourd’hui les intérêts particuliers de la super-classe mondiale. Je ne dis pas que la rhétorique de l’intérêt général a disparu. Mais de facto, ce qui pèse le plus souvent aujourd’hui dans les décisions des grands corps comme l’Inspection des finances, le Conseil d’État ou même le Conseil constitutionnel, c’est l’idéologie mondialiste, dont ils deviennent en quelque sorte les garants. L’inspection des finances produit des banquiers hors sol dont le jeune Emmanuel Macron pourrait être un archétype. Le Conseil d’État promeut, lui, une vision immigrationniste de la réalité française, relayée par les tribunaux administratifs. On avait distingué le juge judiciaire, jugeant des intérêts privés, et le juge administratif qui devait juger au nom des intérêts de l’État. Aujourd’hui le juge administratif juge au nom d’une idéologie mondialiste, et du coup, on a l’impression que la distinction entre Tribunal administratif et Tribunal de Grande instance est désormais comme dépourvue de sa raison d’être : c’est le même sujet qui souvent va être traité dans deux contentieux ou deux procédures différentes.
Le problème immédiat, pour revenir à votre question est donc moins l’ENA que les grands corps de l’État. Mais il est vrai que dans le programme de l’ENA actuellement, ce qui est donné, c’est une formation économique et juridique plutôt qu’une ouverture culturelle et historique. Du coup, au lieu d’être des instruments de la puissance de l’État, dès les années Soixante, les énarques sont devenus des instruments de la super-classe mondiale. Il faut bien reconnaître d’ailleurs que ce qui reste de la puissance française, dans l’industrie aéronautique, dans le domaine spatial, en matière de construction des infrastructures routières, ou dans le registre du nucléaire provient des années 1960 et n’a pas été renouvelé.
Quels conseils auriez-vous donné à votre candidat à l’élection présidentielle, pour qu’il ou elle ait pu traverser le « mur du çon » (comme dirait le Canard) de la plus folle des campagnes présidentielles ?
Jean-Yves Le Gallou : Dans cette campagne, il importait de ne pas se laisser imposer son calendrier et ses thématiques par des puissances extérieures sans légitimité démocratique. Je veux parler de la Justice et des médias. Fillon a eu raison de mettre en cause l’indépendance de la Justice. Marine a eu raison de ne pas se rendre aux convocations des Juges. En termes de séparation des pouvoirs, ces poursuites judiciaires en pleine campagne, étaient une monstruosité. De la même façon, pourquoi se faire imposer les sujets économiques, sociaux, monétaires, au détriment des questions identitaires et sécuritaires beaucoup plus centrales ? Ces sujets auraient dû être bien davantage au cœur de la campagne, mais c’était au candidat de les imposer. Résultat de ce déni : les terroristes s’invitent dans la campagne et posent eux-mêmes les questions que l’on avait mises sous le boisseau durant trois mois. Ce déni organisé ne porte pas chance aux politiques. Témoin : Christophe Gérard maire du IVe arrondissement, ancien directeur de LVMH, écologiste devenu socialiste. Dans un tweet, il a attribué l’attentat des Champs-Élysées à… Vladimir Poutine: « Attentat en France à quelques jours de l’élection présidentielle, comme c’est étrange ! Allez interroger M. Poutine par exemple ». Mais qui sont les complotistes ?
En tout état de cause, les politiques doivent être dans une situation d’affirmation du primat du politique, c’est-à-dire du démocratique sur le judiciaire et sur l’idéologique. Pour cela, ils doivent accorder davantage d’importance aux médias alternatifs et aux réseaux sociaux pour se libérer de la tyrannie médiatique. Jean-Luc Mélenchon, c’est un paradoxe, semble avoir compris cela mieux que certains candidats de droite. Il faut reconnaître que Fillon a sauvé sa candidature avec la manifestation du Trocadéro, qui s’est tenue grâce aux réseaux sociaux et à la présence de Sens commun sur ces réseaux
Faites-vous partie de ceux qui se sentent à l’étroit dans les institutions que nous a léguées le général De Gaulle ?
Jean-Yves Le Gallou : Nous ne sommes plus dans les institutions du général De Gaulle. J’en donnerai trois raisons. 1 : De Gaulle avait envisagé l’élection présidentielle comme un dialogue direct entre le peuple et un candidat. La puissance des médias empêche aujourd’hui ce dialogue. 2 : La constitution de la Ve République avait exclu du contrôle constitutionnel le contenu des lois. Aujourd’hui le véritable législateur est le Conseil constitutionnel, s’appuyant sur son interprétation de déclarations générales, comme la Déclaration des droits de l’homme, et pas uniquement sur la loi elle-même. 3 : La constitution de la Ve République a été révisée
des dizaines de fois ; son contenu a été profondément bouleversé. Ceux qui parlent de la constitution du général De Gaulle aujourd’hui sont hors sol car nous ne vivons plus les institutions du général De Gaulle.
La constitution devrait être réformée dans trois directions. 1 : Le rétablissement de la souveraineté populaire, par le retour du pouvoir législatif aux parlementaires (démocratie parlementaire) et au peuple (démocratie référendaire). 2 : Extension du referendum au referendum d’initiative populaire à partir du rassemblement autour d’un projet de texte ou de l’abolition d’un texte. Il faudrait pour cela 2 à 5 % du corps électoral. 3 : Le rétablissement d’un véritable pluralisme médiatique, il en va du rétablissement de la démocratie. Cela passerait par la suppression des subventions artificielles à la presse écrite, qui ne dépend plus de ses lecteurs mais de ses pourvoyeurs. Il faudrait aussi une réforme profonde du CSA qui, devant avoir pour vocation de garantir la pluralité des débats, serait élu à la proportionnelle en fonction des résultats de l’élection présidentielle. On pourrait compléter le collège d’élus par des citoyens tirés au sort. Le tirage au sort est une vieille institution grecque qui a été utilisée par la République de Venise durant dix siècles. Il est temps d’essayer cette procédure très démocratique en France.
Êtes-vous dans la perspective « économique d’abord » qui semble être souvent celle de François Fillon ?
Jean-Yves Le Gallou : Je crois vraiment que les problèmes identitaires sont premiers : les gens doivent jouir d’une vraie sécurité culturelle et pouvoir se repérer dans la société qui est la leur. Cette confiance dans la société qui nous porte est un élément fondamental de la confiance qu’ont les gens en eux-mêmes. La crise de confiance à laquelle on assiste partout est notablement aggravée par le déni systématique de la question identitaire. Elle doit être résolue pour que la confiance collective revienne. Culture d’abord ! Civilisation d’abord ! Politique d’abord ! Le débat politique est pollué en permanence par la prédominance des questions économiques et sociales, mais ce n’est pas le sujet central du Politique. La classe politique aujourd’hui déserte le champ politique dans la mesure où elle se trouve assujettie au pouvoir médiatique, au pouvoir financier et au pouvoir judiciaire.
Propos recueillis par l’abbé Guillaume de Tanoüarn