Dès mai dernier, le président Hollande a ouvertement lancé sa future campagne présidentielle. Grâce à son Premier ministre et au patron du PS, Cambadélis, il savait qu’au congrès socialiste de Poitiers, n’apparaîtrait aucun concurrent et que l’éventualité d’une primaire devenait sans raison. Son entourage lui avait préparé un voyage rapide aux Antilles. Rapide car il devait être « bouclé» en quarante-huit heures environ dans les Caraïbes.
Il arrivait avec de beaux cadeaux car il était dans un électorat précieux pour les socialistes. Il y en eut pour tout le monde. Il passa par Saint-Barthélemy (65 % de voix en sa faveur à la présidentielle) et donna la Légion d’honneur au président de la collectivité ; assura qu’un compromis avantageux serait trouvé pour régler un contentieux fiscal entre Saint-Barthélemy et la Sécurité sociale.
Pour Saint-Martin, il fit plus : davantage de gendarmes mobiles, création d’une chambre détachée du tribunal de grande instance, un foyer éducatif, sans oublier de lancer un appel aux investisseurs qui bénéficient de mesures de défiscalisation. Les media ont décrit l’enthousiasme des bains de foules, les embrassades bruyantes. Cyniquement un conseiller résuma la question : « Un selfie, un bisou, une poigne de main égalent trois voix ». (Le Monde, 12/05/2015)
Hollande ne peut oublier les chiffres pharamineux en sa faveur : 68% des voix au second tour à la Martinique en 2012 et plus de 71 % à La Guadeloupe. Et les Antillais savent que lors de sa visite, « il y a des cadeaux pour tout le monde » (un de ses conseillers) : après un sommet « Caraïbes climat 2015 » et la glorification du président du conseil général de Martinique Letchimy, après une réunion à l’Atrium de Fort-de-France devant 500 élus, le président énuméra dans un enthousiasme grandissant les cadeaux qu’il apportait : une défiscalisation pérennisée (merci les contribuables), un programme finement nommé « Cesarius », copie de l’Erasmus européen, des suppléments d’emplois aidés pour les jeunes afin théoriquement de lutter contre la prolifération des algues sargasses, deux IUT en Martinique un autre en Guadeloupe.
La foule atteignit la frénésie quand le visiteur annonça la dotation d’un cyclotron pour la détection des cancers. Le marathonien n’avait pas fini sa distribution. Devant un millier d’élus de Guadeloupe réunis à Fort-de-France, il reprit sa liste fastueuse : une troisième école régionale de la « seconde chance » ( avec 700 000 euros de « participation de l’Etat) ; un pôle sportif de haut niveau ; la candidature de la France aux jeux de la francophonie en 2021 pour la Guadeloupe ; des aides fiscales : 1 milliard d’euros pour la prévention des séismes et de leurs conséquences ; un autre cyclotron ; une mission parlementaire pour préparer un texte de loi sur l’égalité !
Il s’envola ensuite pour Cuba et Haïti où il promit encore quelques avantages. Seulement le père Noël resta socialiste sur l’essentiel en manifestant avec emphase sa volonté de commémorer encore et toujours la période esclavagiste de la France et, sans employer le mot, lâcher les rênes à l’idéologie de la repentance permanente, donnant ainsi des arguments supplémentaires aux communautaristes. Le 10 mai, Hollande a inauguré à Pointe-à-Pitre le Memorial ACTe (Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la traite et de l’esclavage). Le bâtiment est un « enchevêtrement d’aluminium posé sur un bloc de granit incrusté d’éclats de quartz ; de 240 mètres de long, d’une superficie de 7 800 mètres carrés ». Il y commit un discours sans surprise (L’abbé Grégoire, Schœlcher, Toussaint-Louverture…) ou presque [1.Lisant le discours préparé par ses « plumes », il évoqua l’indemnisation de 150 millions de francs or exigée par la monarchie française à la jeune République haïtienne en 1825, en échange de la reconnaissance de son indépendance – et il faut le rappeler – afin de dédommager les propriétaires d’esclaves devenus libres. Le président socialiste précisa que c’était « une dette que certains ont appelé rançon d’indépendance et qui, à n’en pas douter compromit l’avenir du pays ». Il poursuivit : « Quand je viendrai à Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons ». Ce qui avait immédiatement ravi les Haïtiens qui voyaient déjà les zéros du futur chèque. Ils déchantèrent quand leur fut expliqué qu’il s’agissait d’une « dette morale ». A Haïti justement, il s’est exprimé devant une population « triée sur le volet » entourée des forces de l’ordre. Mais derrière, certains qui avaient bien entendu, réclamaient en interjections claires : « restitution », «réparations », « argent oui, morale non ». Flanby père Noël a repris sa hotte : il a annoncé des mesures de formation des enseignants haïtiens, de nouvelles « missions » sur place et … l’augmentation du nombre d’étudiants haïtiens boursiers qui suivront leurs études en France, etc. Soit pour des « annonces éducatives », un montant de 50 millions d’euros sur plusieurs années.] en saluant les historiens qui ont « revisité » l’histoire, repris la formule de Césaire sur la « nature irréparable du crime ».
S’il a glissé des allusions claires et fielleuses à la progression électorale du Front national, en revanche il a passé sous silence les vives critiques contre le bâtiment de l’ACTe. Un indépendantiste a parlé de « véritable gabegie » et on ne peut lui donner tort. Le coût de ce musée princier est en effet de 83 millions d’euros dont 37 millions financés par le conseil régional. Pour la lutte idéologique, rien n’est trop cher… puisque c’est l’Etat qui paie !