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Entretien avec François Bert

ByJérôme Seguin

Juin 6, 2017

Entretien avec François Bert

D’abord Saint-Cyrien et officier de la Légion étrangère, François Bert est devenu dirigeant commercial et fondateur, en 2011, d’Edelweiss RH, structure à partir de laquelle il prodigue ses conseils aux équipes de direction dans les entreprises et accompagne les dirigeants dans l’accomplissement de leurs tâches, tout en guidant parallèlement l’orientation des particuliers. Il a récemment publié un petit livre, Le Temps des chefs est venu (Edelweiss Éditions), pour prévenir ses lecteurs qu’il est grand temps que la France soit dirigée par des hommes de tempérament et de caractère, deux conditions nécessaires pour conduire efficacement le pays. Dans notre période actuelle de « bouillonnement électoraliste », nous avons jugé intéressant de lui demander de nous exposer le contenu de ses propositions.

Lectures Françaises : Au vu du titre de votre ouvrage, pouvons-nous supposer que vous estimez que depuis les dizaines d’années qui nous précèdent, cette « denrée rare » de chefs n’existait plus pour occuper la responsabilité de la direction de la France ?

François Bert : Hélas oui ! Les comportements encore visibles au soir de ce premier tour nous l’ont montré à tous points de vue : à quelques rares exceptions près, nous n’avons vu ni position de recul pour absorber les événements et prendre une décision mûrie, ni capacité à transcender la logique des partis pour choisir ce qui s’impose pour la poursuite du bien commun. Nous avons plutôt observé des logiques moutonnières d’allégeance idéologique et, pire, des réactions de peur tétanique à la seule idée d’écorner une image médiatique.

L. F. : D’emblée, vous posez la question « Sommes-nous condamnés à enchaîner les mandats présidentiels catastrophiques ? » Seriez-vous donc iconoclaste ?

F. B. : Tristement lucide mais heureusement pas désespéré… Il y a un moment où les choses doivent être dites : François Hollande est une sorte de démonstration pédagogique de tout ce que ne doit pas être un chef. Sa litanie des « moi Président » fut une sorte de catalogue prémonitoire des reniements et catastrophes à venir. Mais vient le moment où après avoir touché le fond nous devrons remonter.

L. F. : Vous présentez une galerie de portraits des sept derniers présidents (de De Gaulle à Hollande) sous l’intitulé « L’irrésistible glissement de la personnalité présidentielle ». Comment avons-nous pu en arriver là ?

F. B. : On a souvent tendance à considérer que les présidents de la Ve ont trahi l’idéal gaullien, proche d’une sorte de monarchie républicaine. C’est là que la compréhension des personnalités peut faire toute la différence. De Gaulle – je risque d’en choquer certains – n’est pour moi pas un chef et il est la première cause du glissement futur des personnalités présidentielles.

Entretien avec François Bert
Le temps des chefs est venu – Autopsie de la personnalité présidentielle & solutions pour l’avenir

De Gaulle n’est pas un chef car il demande au contexte de s’aligner sur ses idées là où un chef authentique ferait le contraire. L’enjeu n’est pas de violer le réel mais bien de l’écouter suffisamment pour en tirer les évidences qui doivent orienter l’action. De Gaulle a donné son plein talent quand le contexte est venu croiser ses idées : en 1940, bien sûr, mais aussi dans les années 60, quand il s’agissait de donner à la France une voix indépendante par rapport aux deux blocs. Mais, dès que les contextes se sont désalignés de ses idées, il a été dépassé : en 1946, avec l’arrivée des communistes qu’il avait favorisés par ses alliances, pendant la guerre d’Algérie, en 68-69 enfin. La guerre d’Algérie est très symptomatique de cette pensée qui voit les finalités sans écouter la réalité intermédiaire qui s’impose à l’entendement. De Gaulle voulait éviter « Colombey les deux mosquées » : sa hâte à se séparer de l’Algérie, sans prendre en compte le temps de transition dont ces départements français avaient besoin et en devenant parjure, amènera non seulement à la création précisément en France de ce qu’il redoutait et un discrédit durable de la parole présidentielle.

A défaut de convaincre par l’évidence de ses choix successifs, De Gaulle chercha à maintenir l’affection populaire par la pratique répétée des référendums. Certains pourraient y voir un souci scrupuleux de démocratie : le fait est qu’il y eut là plutôt un besoin de légitimer par ce mécanisme des variations soudaines de cap (comme en Algérie) ou un besoin capricieux d’affection (comme en 69, après pourtant une victoire triomphale aux législatives de 68) : cela lui sera fatal.

Dès lors, le suffrage universel aidant, la politique glissera vers une recherche émotionnelle dans laquelle les médias s’engouffreront. Cela produira, sans surprise, l’avènement d’une classe politique correspondante, de vendeurs notamment.

L. F. : En somme, en tant que militaire, vous êtes très bien placé pour reprendre la phrase connue : « Il n’y a pas de mauvais soldats, il n’y a que des mauvais chefs ». Ils seraient donc tous à reverser dans cette catégorie ?

F. B. : Encore une illustration du fait que De Gaulle ne fut pas un chef. Répéter, comme il le fit souvent « les Français sont des veaux », c’est reporter sur ses subordonnés une incapacité à savoir les embarquer, les employer et les conduire. Et en effet, « il n’y a pas de mauvais soldats, il n’y a que des mauvais chefs ». En dehors de Pompidou et de Mitterrand, seuls présidents qui, avec les défauts que l’on leur connaît par ailleurs, furent des chefs, les autres présidents ont cherché indéfiniment l’affection populaire sans cesser pour autant de la mépriser quand elle n’allait pas dans leur sens.

L. F. : Passons rapidement sur ce que vous appelez « La dictature des communicants », relayée par celle des media, ne croyez-vous pas ? Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez par là ?

F. B. : La logique émotionnelle alliée au fonctionnement intrinsèque des partis a, dans un monde qui va de plus en plus vite, favorisé le pouvoir des médias. Puisqu’il s’agit d’être élu en suscitant l’affection populaire sur la base d’idées nouvelles, dans le brouhaha constant de nos multiples connexions, l’avantage est allé à tous ceux qui sont capables d’en générer souvent les occasions. Nous avons connu depuis la Révolution un glissement de l’intelligence de l’action, qui s’essoufflait, vers l’intelligence du discours. Ce sont les idéologues qui ont pris d’abord le pouvoir en cherchant à donner à leur parti une différenciation. Cela nous a conduit aux égarements totalitaires ou expérimentaux que l’on sait. Aujourd’hui nous sommes au-delà de cela : nous générons à tout propos des réactions émotionnelles, au point d’enlever aux gens leur capacité de discernement. Macron est la démonstration de cette démarche portée à son terme. La dictature des communicants c’est non seulement le plein pouvoir des médias mais surtout la génération d’une élite politique de vendeurs et d’experts hors-sol dans laquelle les chefs n’ont pas leur place.

L. F. : Venons-en au cœur de votre étude :  Qu’est-ce qu’un chef ? Comment le définissez-vous ?

F. B. : J’aborde les personnalités par l’ « inné » : pour moi nous sommes tous « prêtres, prophètes et rois » mais il y a bien des « prêtres », des « prophètes » et des « rois ». Leur rapport à l’action est différent et par conséquent leur légitimité à être de bons Présidents dans la durée aussi.

Le « prêtre » ou « relationnel » a d’abord l’intelligence de l’interaction. Il se nourrit de la quantité des échanges qu’il a avec les personnes car c’est un producteur de lien. C’est un bon candidat, pas un chef. Dès qu’il est élu, son métier change : il ne s’agit plus d’interagir mais d’agir, plus d’avoir sans cesse autour de soi des gens à convaincre ou à séduire mais une solitude à habiter dans le silence pour savoir décider. Et c’est là que le bât blesse… Dès lors, il n’y a plus d’autre possibilité que de s’en sortir en transformant la vente en communication. Vous aurez reconnu dans cette personnalité Chirac, Sarkozy et Hollande.

Le « prophète » ou « cérébral » a d’abord l’intelligence du contenu. L’échange pour lui est l’occasion de montrer son savoir ou de se faire reconnaître sur ses idées. Leur densité, leur exhaustivité parfois, peuvent être intéressantes à tête reposée. La difficulté commence quand il s’agit de les confronter à la réalité évolutive et bousculée du terrain car, comme on dit dans l’Armée, « le premier mort de la guerre c’est le plan ». Il ne s’agit plus d’avoir raison sur le fond mais dans l’action, plus de décliner un plan ou de faire passer en force une idée mais de discerner pour écouter les signes des temps, coller à la réalité et traverser les événements : c’est là que les prophètes se font dépasser et font des dégâts. Nous en avons eu deux : De Gaulle et Giscard.

Le « roi » ou « chef naturel » a d’abord l’intelligence des contextes. L’échange comme la connaissance sont pour lui naturellement subordonnés à l’intelligence de la mission. Il ne cherche pas à produire du contenu ou de l’interaction mais de la décision. Son activité mentale est en entonnoir vers l’action et, si j’ose dire, « à ressort » : tout excès de contenu et toute logique affective sont sans cesse ramenés à ce en quoi ils s’inscrivent dans le contexte et la poursuite de la mission. Un roi est par nature en retrait. C’est un introverti dont l’activité principale est le discernement. Il prend son relief au contact des événements et se montre vite enclin à laisser de côté toute idéologie pour se mettre à l’écoute de ce que le réel lui impose. Nous avons eu deux « rois » : Pompidou et Mitterrand.

L. F. : Pensez-vous vraiment que, menottés par les contraintes de la construction politicienne contemporaine, un ou quelques hommes de cette trempe pourraient émerger et s’imposer, sans être obligés de détruire entièrement ce système quasi dictatorial ?

F. B. : C’est ici qu’il s’agit pour moi d’écouter les signes des temps. C’est Jeanne d’Arc qui nous le dit : « les hommes d’armes batailleront et Dieu donnera la victoire ». Le principe de l’action politique doit être calqué sur celui de l’embuscade : quatre heures d’attente, deux minutes de feu. En dépit des apparences, le système médiatico-politique est en train de s’essouffler. Son hystérie au moment de la manifestation du Trocadéro fut parlante : la démesure d’une réaction parle de la réalité du danger où se trouve celui qui l’exprime.

L. F. : Vous suggérez votre vision du renouveau du personnel politique français sous la formule suivante : « Faire advenir et durer le chef naturel ». Comment procéder pour cela ?

F. B. : J’ai une vision de long terme et des conseils intermédiaires.

À long terme il s’agit d’opérer par avance un mode de pré-désignation des chefs avant que la crise nous y pousse. Je m’inspire pour cela de la guerre de Vendée : les paysans vendéens sont allés chercher comme instinctivement les chefs naturels qu’ils avaient dans leurs rangs. C’est un fait suffisamment rare pour être noté (il dut en être pareil au moment des aristocraties primitives) : les armées vendéennes ont été dirigées par un panel d’une exceptionnelle qualité. Nous devons de la même façon, non pas nous mettre à l’écoute des beaux parleurs qui arrivent sur le devant de la scène électorale, mais réfléchir à ceux qui, dans notre environnement, nous inspirent par leur force intérieure et leur discernement l’envie de les suivre. C’est à chaque citoyen de les pousser à se présenter, un peu comme les paysans du bocage allèrent chercher Charette sous son lit.

De manière intermédiaire, je suggère que soient proposées à nos suffrages non pas des leaders isolés mais des équipes. La grande force du Napoléon militaire fut qu’il avait toujours avec lui le dénommé Berthier, qui donna à ses intuitions stratégiques une réalisation tactique et pratique. Pour compenser l’erreur de « casting » qui touche nos dirigeants politiques, la contrainte d’avoir à choisir un bras droit non pas politique (jeu des alliances) mais opérationnellement crédible serait porteuse de sens.

J’appelle enfin à ce que les chefs naturels viennent rejoindre les états-majors de dirigeants, de manière à apporter non pas un énième contenu technique ou conseil en communication mais ce qui manque le plus aux dirigeants : le discernement opérationnel.

L. F. : En conclusion, comment pensez-vous ou envisagez-vous que puisse être interprétée la leçon tirée par les lecteurs de votre ouvrage ?

F. B. : J’ai deux souhaits pour mes lecteurs : d’une part qu’ils aient le désir de servir le pays avec leurs talents propres, qu’ils soient « prêtres », « prophètes » ou « rois » (la meilleure manière de sauver le monde c’est d’être soi) ; d’autre part qu’ils intègrent dans leur action la nécessité absolue, plutôt que de trop s’épuiser dans le combat d’idées, de choisir les chefs naturels capables d’avoir les bonnes décisions dans les contextes futurs. C’est dans l’écoute de la réalité et la pratique collective et non partisane de l’action que s’inscrit l’espérance française.

Propos recueillis par Jérôme SEGUIN

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