Tous les quatre ans a lieu l’élection présidentielle aux États-Unis… et tous les quatre ans une partie de l’opinion française vit par procuration cet événement politique. Évidemment, de ce côté-ci de l’Atlantique, toutes les espèces de bien-pensants possibles et imaginables se rêvent électeurs du Parti démocrate, qui incarne à leurs yeux la quintessence du progressisme, tandis que le Parti républicain, a fortiori lorsqu’il est mené à la victoire par Donald Trump, revêt, toujours à leurs yeux et pêle-mêle, les oripeaux des puritains de Salem, des grands sorciers du Ku Klux Klan ou du sénateur McCarthy !
Quelle n’est pas parfois la surprise de ces bonnes âmes lorsqu’elles découvrent au hasard d’une lecture que Nathan Bedford Forrest, premier Grand Sorcier du Klan, et tant d’autres sudistes esclavagistes ou suprématistes blancs furent d’honorables membres du Parti démocrate, qui domina politiquement le Vieux Sud jusque dans les années 1960, tandis qu’Abraham Lincoln, l’abolitionniste par excellence, fut l’un des fondateurs de l’abominable Parti républicain ! C’est à n’y rien comprendre ! s’écrient parfois nos bien-pensants. Si je puis me permettre cette anecdote personnelle, c’est ce que confessait honnêtement notre professeur d’anglais, en classe de Première. À l’époque, déjà mauvais sujet, je riais sous cape et dévorais le Gettysburg de Dominique Venner [1], qui ressuscitait sous les yeux de ses lecteurs l’Amérique d’avant la Sécession, dévoilait les causes du conflit dans leur intégralité, contait avec un étincelant brio les épisodes de la guerre civile et reconstituait les heures tragiques qui soldèrent la défaite du Sud aristocratique, emporté par le vent de l’Histoire, « mais toujours vivant dans le cœur des hommes généreux ».
À l’image de nos bien-pensants et des media qui leur déversent la bonne parole progressiste à jet continu, on s’expose en effet à ne rien comprendre à l’Amérique, et plus exactement à l’Amérique profonde, et donc à la victoire de Trump, si l’on ne pas fait pas, comme toujours, l’effort de remonter aux origines.
Les Treize Colonies
À l’origine, il y a les treize colonies successivement établies sur la côte est de l’Amérique du Nord, sous la protection de la Couronne britannique. C’est-à-dire, dans l’ordre chronologique de leur fondation : la Virginie (1607), le Massachusetts (1620), le New Hampshire (1623), le Maryland (1632), le Connecticut (1635), le Rhode Island (1636), la Caroline du Nord (1663), la Caroline du Sud (1663), le Delaware (1664), le New Jersey (1664), l’État de New York (1664), la Pennsylvanie (1681) et la Géorgie (1732).
Et il ne faudrait pas réduire ces Treize Colonies, jalouses de leurs particularités et de leurs privilèges, à la seule image des colons puritains du Massachusetts : les fameux Pilgrims Fathers. La Virginie, au moment de la première révolution anglaise (1642-1651), sera dominée par une aristocratie anglicane et royaliste, ennemie des coreligionnaires et sympathisants de Cromwell établis en Nouvelle- Angleterre [2] : l’opposition entre le Nord puritain et le Sud aristocratique existe donc dès les origines. Quant au Maryland, il est à sa fondation le refuge des colons catholiques anglais, jusqu’à ce que la seconde révolution anglaise (1688-1689) n’entraîne la révolte des protestants de cette colonie : ces derniers s’y emparent du pouvoir au détriment des catholiques, qui perdent au passage leurs droits civiques.
Cette profonde diversité des origines n’est pas seulement religieuse et politique. Elle est bientôt économique. La Nouvelle-Angleterre, c’est-à-dire les colonies puritaines du Nord, dont les terres sont peu fertiles, se tourne résolument vers l’artisanat et le commerce : elle deviendra le bastion de la révolution industrielle américaine. Les colonies du Sud [3] jouissent d’un climat subtropical : leurs plantations, qui nécessitent la main d’œuvre servile noire, exportent notamment en Europe le tabac, le coton, l’indigo ou la canne à sucre. Compte-tenu des débouchés économiques naturels, le Sud est libre-échangiste, tandis que la Nouvelle-Angleterre, désireuse d’écouler dans toute l’Amérique sa propre production – d’abord artisanale, puis industrielle –, n’entend pas souffrir la concurrence des produits européens importés par le Sud et se veut la championne du protectionnisme. Entre la Nouvelle-Angleterre et le Sud, les colonies du Centre (New York, New Jersey et Pennsylvanie), bien que dominées à l’origine par leur agriculture, choisiront bientôt le modèle économique du Nord. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)
Vincent CHABROL
[1] – Livre épuisé. Du même auteur : Le Blanc Soleil des vaincus (Éditions Via Romana, 2015. Préface d’Alain de Benoist).
[2] – C’est-à-dire le Massachusetts, le New Hampshire, le Rhode Island et le Connecticut.
[3] – C’est-à-dire, originellement, la Virginie, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud et la Géorgie, mais aussi le Maryland et le Delaware.
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