La très mauvaise santé de l’édition en 2017

édition : très mauvaise santé 2017

Les éditeurs ont vécu une année 2017 spécialement calamiteuse, tel est le bilan qu’ils dressent aujourd’hui. Cet effondrement tient à plusieurs facteurs cumulatifs, qui ont marqué l’année passée.

Lu pour vous dans Présent.

Il y a d’abord le constat souvent fait que les années électorales ne sont pas de bonnes années pour le livre. La télévision mobilise certaines soirées, et les esprits sont polarisés par un feuilleton à rebondissements qui se déroule en direct, sous les yeux des Français. Il en est d’ailleurs de même lors de grands faits divers et d’actes de terrorisme. Cette année, les primaires à droite et chez les socialistes ont relancé l’intérêt pour la compétition électorale dans des proportions telles que les livres sont restés sur les tables de nuit ou dans les rayons des librairies. Mais nous avons là un phénomène purement conjoncturel.

Beaucoup plus préoccupante est la seconde explication : une véritable polarisation sur quelques livres seulement. Les coûts de fabrication de livres ont fortement diminué. L’offre est très diversifiée, mais le tapage médiatique se concentre sur un nombre de plus en plus réduit d’auteurs, de livres. Sortir de l’anonymat demande un effort beaucoup plus considérable que dans le passé.

En 2017, la production de livres a été tirée par le nouvel Astérix, par le Goncourt, qui a bénéficié à la maison d’édition Actes Sud qui appartient (curieusement) au ministre de la Culture, Françoise Nyssen, — une maison qui avait toutefois déjà obtenu par deux fois ce prix, ce qui semble écarter l’idée de quelque favoritisme que ce soit — par quelques romans policiers et par les opus annuels des habitués du haut du podium des ventes. Mais globalement, au second semestre de 2017, il s’est vendu 12 % de romans en moins par rapport à 2016.

Le public est gavé de ces histoires de nazisme

Troisième constat : l’année 2017 a été un mauvais cru en termes qualitatifs. Les livres qui ont fait l’actualité étaient plutôt mauvais, voire très mauvais, ce qui contribue à éloigner le lecteur. Ce Goncourt, L’ Ordre du jour, de Vuillard, n’était pas fameux, même s’il s’est assez bien vendu. Ce ne sera pas un Goncourt qui restera et qui peut contribuer à relancer la lecture. Le public est gavé à en vomir de ces histoires de nazisme, ou de ces récits de bandes dessinées où le monde est entre les mains des néo-nazis.

« Ils sont partout » dans les romans, la bande dessinée, ou dans les films. La réalité de ce que leur montre l’actualité n’est pourtant pas celle-là. La réalité, c’est que ceux qui tuent nos enfants sont généralement des islamistes et assez rarement — pour ne pas dire jamais — des rescapés ou des imitateurs du IIIe Reich. Pourtant aucune grande fresque littéraire ou cinématographique du moment n’est basée sur ces situations. Tout au plus a-t-on le droit à quelques essais sur ces questions qui, il est vrai, rencontrent un certain succès (Obertone, Villiers, etc.).

Les fabricants de best-sellers, les Delphine de Vigan, Douglas Kennedy, Amélie Nothomb, Musso ou Lévy, produisent un livre par an, vivent de leur notoriété (leurs éditeurs aussi), mais chaque titre est plus médiocre que le précédent. La recette est usée jusqu’à la corde. Il serait temps de tirer le rideau.

La dernière cause de cette déconfiture du livre tient au recul de la lecture, tout simplement. Les éditeurs craignaient, il y a quelques années, le remplacement du livre-papier par le livre-tablette. En fait, le livre-tablette reste peu utilisé (peut-être 8 % du secteur du livre), et il est même en léger recul. Les lecteurs, qui pratiquent la lecture sur ordinateur à haute dose dans leur vie professionnelle, reviennent au livre-papier pour leurs loisirs. Mais ce que constatent les éditeurs, c’est que dorénavant, dans les cours de récréation comme sur les lieux de travail ou lors des repas de famille, on parle des séries télévisées et de rien d’autre.

«Jadis, à 18 ans, on avait forcément lu Le Comte de Monte-Cristo. Aujourd’hui les adolescents peuvent rester treize heures devant un écran à dévorer Le Bureau des légendes», constatait récemment l’éditeur de BD et de livres pour enfants Claude de Saint-Vincent (Fleurus, Le Lombard, Dargaud etc.). Cette pente-là n’est pas près d’être remontée.

La crise du livre touche aussi les petits éditeurs, y compris dans notre famille de pensée, qui reste pourtant un public très gros consommateur de livres. Des éditeurs comme Pardès, des diffuseurs comme DPF, se plaignent régulièrement d’un tassement des ventes.

Le client noyé sous une masse de titres

Sans vouloir donner des leçons aux uns et aux autres, qui connaissent leur métier, il faut constater que les petits éditeurs du « milieu » publient beaucoup de titres, mais les défendent sans doute insuffisamment. Ils ne capitalisent guère sur leur catalogue, ils publient et attendent que les ventes tombent sur Amazon et autres. Pas ou peu d’attachés de presse, de commerciaux, pas ou peu de publicité pour supporter les meilleurs titres. Du côté des diffuseurs, l’impression est parfois donnée — notamment dans les salons du livre — d’un traitement parfaitement égalitaire entre auteurs autoédités à la compétence et au talent très spécifiques, et auteurs de livres de qualité. C’est une politique, mais qui présente le défaut de noyer le client sous une masse de titres, où le maître-livre côtoie l’ouvrage ultraconfidentiel, parfois marqué par un fort amateurisme, ce qui décourage éventuellement le lecteur.
Bien évidemment, les rééditions d’auteurs de la «famille » au sens très large, de Brasillach à Maurras, de Céline à Vialatte, de Léon Bloy à Barbey d’Aurevilly, sont nécessaires. Mais s’intéresse-t-on assez aux auteurs qui montent, en particulier aux romanciers de la nouvelle génération, les Maulin, les Slobodan Despot et autres ? Des revues expertes comme Livr’arbitres défrichent ces terrains. Mais nous y reportons-nous suffisamment ? Ce ne sont que quelques pistes de réflexion, mais nous savons, nous, que les lecteurs de Présent font partie du noyau dur des meilleurs défenseurs du livre, et c’est pourquoi ce sujet nous parle à tous.

Francis BERGERON

Présent n°9053 du 17 février 2018

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