En septembre dernier, l’animateur « télé » Stéphane Bern a été nommé par Emmanuel Macron à la tête d’une mission de préservation du patrimoine local. Pourquoi ? Parce qu’il s’intéresse depuis des années au patrimoine français comme à l’histoire de France. Parce que, proche du couple Macron, il en a régulièrement parlé avec l’ancien candidat devenu président et qu’il s’inquiète de la détérioration de maints édifices et paysages. C’est surtout parce qu’il est connu du public français. Il est évident qu’il sert ainsi à la communication politique de l’Élyséen.
Il n’est pas moins vrai que, l’attirance qu’exerce notre passé sur les 83 millions de touristes étrangers qui y viennent chaque année [1], cette attirance concerne les grands édifices religieux et les châteaux de toutes époques. Des milliers d’emplois sont créés. Mais tout un chacun sait que des gisements plus modestes mais nombreux mériteraient bien des détours à la condition d’être restaurés. Sur les 44 000 monuments historiques protégés, 7 % sont en grave péril, 9 000 sont classés ou inscrits en état de dégradation avancée. Or la moitié de ces œuvres d’art et d’histoire sont situés dans des communes rurales de moins de 2 000 habitants ne pouvant pas supporter seules les travaux indispensables.
Telle est en gros la démarche de l’animateur des ondes (Secrets d’histoire sur France 2, etc.) qui a riposté aux attaques dont il a été l’objet dans la presse et sur les « réseaux ». La mission qui lui a été confiée vise à établir d’abord un état précis du patrimoine pour évaluer les urgences. Ce qui sera effectué avec le ministère de la Culture, et, sans doute, la Fondation du patrimoine [2]. Rappelons que les Drac (Directions régionales des affaires culturelles) procèdent à la constitution de dossiers solides, actualisés, rédigés par des spécialistes de qualité. Mais les budgets doivent être saupoudrés et les chantiers souvent suspendus. De toute façon, Stéphane Bern va être secondé par les experts de cet organisme [3]…
Une fois effectué le recensement des œuvres en péril, comme l’avait magistralement fait Prosper Mérimée au Second Empire, M. Bern devra, en quelque sorte, redevenir le bateleur des ondes et des réunions mondaines pour obtenir toutes les « formes de financements participatifs ».
Revenons aux attaques dont la nomination devint l’objet. Elles sont dues à des « professionnels » : historiens, archéologues, journalistes, « cultureux » qui s’estiment, en quelque sorte, être mis sur la touche et contestent le choix. Avec raison, ils rappellent que, sous la direction de forts compétents conservateurs du patrimoine, des « Inventaires » sont faits et actualisés depuis des années. D’autres ont regretté que « le patrimoine ouvrier » n’ait pas d’emblée été mis en avant ! Du reste, ont grincé certains, M. Bern n’est pas historien ni universitaire. Il n’y prétend pas. Ce que l’on attend de lui c’est d’utiliser son très copieux carnet d’adresses, afin de drainer des parrainages et des chèques pour restaurer des chefs-d’œuvre en ruines du passé français.
Parmi ces critiques s’est signalé un maître de conférences (histoire médiévale) présent sur les « réseaux », les media et connu pour ses positions à gauche, Nicolas Offenstadt. Il a ironisé sur la nomination d’un « super Monsieur patrimoine ». Il estime que l’objectif suivi, dans cette promotion, n’est pas de conduire une véritable politique des patrimoines, « mais de plaire aux touristes étrangers lors de leur visite éclair ». L’homme de gauche se méfie du mécénat, il dénonce ce qu’il surnomme « une politique bling-bling, sans cohérence » (Le Monde 05/10/2017).
Mais les vrais griefs ne sont pas là. Le professeur critique les choix de l’animateur dans ses émissions historiques parce que M. Bern préfère mettre en valeur des anecdotes plutôt que les mouvements sociaux. Nous savons le mépris des « vrais » universitaires pour la vulgarisation (pourtant réalisée pour un large public populaire et qui a du succès). Mitterrand avait suffisamment apprécié Alain Decaux, un « vulgarisateur » de talent, notamment à la télévision et par écrit, pour en faire un de ses ministres. Non, le péché de Stéphane Bern est d’un autre ordre. Il est presque idéologique.
Comme la plupart des journalistes de la grosse presse, le maître de conférences dénonce les pensées hérétiques de « l’histrion ». Les gardiens du temple ont énuméré les « déviances » de Bern : il n’a jamais caché aimer « l’ordre et la monarchie ». Il l’a montré à maintes reprises dans des documentaires sur les dynasties princières. Il a aggravé son cas (pour L’Obs et autre presse de gauche aussi impartiale) en se disant, non seulement admiratif des rois de France, mais tout à fait acquis au « roman national » et ses grandes figures [4] ! Bref tout ce que M. Offenstadt, et son ami, Patrick Boucheron le « pontifex maximus » de l’histoire, récusent avec mépris [5]. Le chef d’accusation contre Stéphane Bern est sans nuance, il se résume à prétendre que le quêteur de fonds serait coupable d’avoir un « discours politique orienté clairement réactionnaire. » Pour qui réfléchit un peu sur notre histoire, ce jugement le rendrait presque sympathique.
Pierre ROMAIN
[1] – Il y a lieu de relativiser. Dans ce nombre, sont comptabilisés les touristes de « passage » qui traversent la France pour se rendre principalement dans les pays méridionaux (Espagne, Portugal, Italie) (NDLR).
[2] – La Fondation du patrimoine repose sur le mécénat. En vingt ans, elle a soutenu 26 000 projets et distribué 2 milliards d’euros pour des travaux très variés.
[3] – L’animateur a montré l’exemple en faisant « retaper » à ses frais un collège créé en 1776 dans une ancienne abbaye, à Thiron-Gardais (Eure-et-Loir), pour en faire un musée sur les collèges des XVIIe et XVIIIe siècles.
[4] – Notons qu’il n’aborde jamais la Révolution ni les guerres de Vendée qui pourraient gêner les gens du pouvoir.
[5] – Patrick Boucheron a publié cette année une Histoire mondiale de la France dont il avait dirigé la rédaction collective et qui s’intéresse en priorité aux apports étrangers dans notre passé. C’est très « tendance ».