Lectures Françaises : Pourquoi avoir choisi ce titre un peu provocateur pour votre dernier essai [1] ?
Michel Geoffroy : Parce que le monde entier dit Occident go home ! car il n’en supporte plus l’arrogance, les doubles standards, la violence et l’impérialisme des Occidentaux. Et il a désormais les moyens de leur résister.
Mais pour nous aussi ce mot d’ordre a du sens, car nous devons aussi nous libérer de cet Occident qui nous détruit et nous vassalise ; un Occident qui tourne de plus en plus le dos à la civilisation européenne, notre civilisation.
Et n’ayons pas peur comme disait le pape Jean-Paul II !
L’avènement du monde polycentrique au XXIe siècle – c’est-à-dire la dispersion de la puissance entre de nombreux États-civilisationnels – n’est pas une catastrophe comme on voudrait nous le faire croire, mais une opportunité pour les Européens : l’opportunité de se libérer du suzerain nord-américain et de l’idéologie mortelle de l’Occident. À condition de le vouloir et d’agir en ce sens.
N’ayons pas peur aussi, parce que le système diffuse artificiellement la peur pour annihiler toute volonté de lui résister.
L. F. : Vous établissez une distinction et même une opposition entre l’Occident et la civilisation européenne. Pourquoi ?
M. G. : Jusqu’au XXe siècle l’Occident et la civilisation européenne se recouvraient globalement, mais cela n’est plus le cas de nos jours.
En réalité l’Occident aujourd’hui c’est l’Europe déclassée qui a perdu sa raison, ses valeurs, sa religion et son identité.
C’est la civilisation européenne décomposée par l’américanisme, l’espace vassalisé par les États-Unis, l’empire du faux et du mensonge, des « valeurs » en caoutchouc qui varient en fonction des intérêts des puissants : c’est une maladie civilisationnelle qui tente d’infester le monde entier et qui est en train de dissoudre notre civilisation.
L’américanisme résulte en effet de la fusion entre le progressisme et le messianisme puritain (mythe de l’élection /destinée manifeste ; volonté de créer le paradis sur terre sans attendre la fin des temps ; croyance que Dieu leur a promis la domination terrestre, etc).
L’idéologie de la cancel culture recycle la vieille croyance progressiste de la table rase : il faudrait annuler (cancel) notre nature, notre culture et notre identité pour forger l’homme nouveau grâce à une nouvelle ingénierie sociale : que l’homme soit « déconstruit » ou « augmenté » c’est toujours la même utopie totalitaire.
Toutes les folies progressistes dont nous souffrons, nous viennent aujourd’hui de cet Occident anglo-saxon : le féminisme androphobe, la révolution des mœurs des années 60, le laxisme pédagogique, le déboulonnage de statues, les études décoloniales, la discrimination positive, le communautarisme, la domination des minorités sur les majorités, l’idéologie LGBT, le wokisme, sans parler du matérialisme, de la loi de l’argent, de la malbouffe et de la culture de la violence, etc.
En outre cet Occident est devenu au XXIe siècle l’empire du mensonge et finalement du Mal donc des valeurs abaissées et inversées : ainsi par exemple les droits de l’homme ne sont plus des droits naturels comme on le prétendait au XVIIIe siècle, mais le droit de rejeter la/sa nature. C’est aussi l’empire des images et des paroles vides où l’on prend les fictions médiatiques pour la réalité.
L’Occident incarne enfin l’hérésie mondialiste, portée de nos jours par les anglo-saxons et principalement les États-Unis. Qui sont prêts à tout, y compris à la guerre, pour parvenir à leurs fins.
C’est pourquoi il nous faut rejeter cet Occident qui nous détruit : « Occident go home ! »
L. F. : Vous écrivez que cet Occident nous domine mais en même temps qu’il est en passe de perdre la direction du monde. N’est-ce pas un peu contradictoire ?
M. G. : Nullement : c’est justement parce que l’oligarchie occidentale est en train d’échouer dans son projet eschatologique de domination mondiale, qu’elle radicalise sa mainmise sur ses vassaux et notamment sur ses vassaux européens.
Nous vivons en effet une nouvelle ruse de l’histoire ou de la Providence : le monde est en train d’échapper aux mondialistes occidentaux, comme je l’avais déjà évoqué dans mon essai La Super-classe mondiale contre les peuples [2] !
À l’échelle du monde, l’Occident incarne désormais une puissance déclinante, dans presque tous les domaines :
- démographique : la population occidentale se marginalise à l’échelle du monde ;
- stratégique : un nombre croissant d’États se tourne vers les BRICS [3] et vers le modèle chinois de non-ingérence et de développement gagnant/gagnant, pendant que la Russie fait figure de champion d’un nouvel ordre mondial plus respectueux du « sud global » ;
- scientifique : l’Occident a perdu le monopole du progrès scientifique et ses systèmes d’enseignement et de recherche sont en déclin pour des raisons idéologiques (égalitarisme, wokisme) ou financières (on investit de moins en moins dans l’avenir) ;
- militaire : la guerre en Ukraine confirme que l’OTAN est moins une organisation militaire efficace qu’une organisation politique de contrôle de l’Europe par les États-Unis ; et les armes occidentales ne sont plus des game changer [4] ;
- économique : l’Occident devient une zone de faible croissance, d’endettement massif, de désindustrialisation et de moindre prospérité, notamment en Europe ; les BRICS ont dépassé le G7, la Chine devient la première puissance économique mondiale, la Russie, la quatrième économie mondiale en parité de pouvoir d’achat ; et la dédollarisation des échanges s’accélère entre les BRICS ;
- moral : l’Occident est devenu aux yeux du monde entier le pays des fous, des menteurs, des lâches qui ne défendent plus leurs frontières et qui ne veulent pas se battre, des hommes sans religion qui ne croient plus en rien ou qui croient n’importe quoi ;
- politique : l’Occident donne des leçons de liberté et de démocratie au monde entier, alors qu’il entre dans une spirale totalitaire et liberticide ;
L. F. : Quelles conséquences ces évolutions ont-elles pour nous ?
M. G. : Nous vivons des temps apocalyptiques au sens étymologique : celui de la révélation. Car malgré la propagande et la censure (l’Occident interdit désormais l’expression de la vérité) il devient de plus en plus difficile de cacher notre déclassement et notre déclin. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)
Propos recueillis par la rédaction
[1] – Sous-titré : Plaidoyer pour une Europe libre (Éditions Via Romana, septembre 2024, 136 pages, 17 €.
[2] – Éditions Via Romana, 2018.
[3] – NDLR : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, rejoints le 1er janvier 2024 par l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie, et l’Iran (BRICS+).
[4] – NDLR : Expression désignant un événement ou élément nouveau qui marque un changement radical de situation, ou qui change de façon significative la façon habituelle de penser ou d’agir.
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