Transcription au bivouac de Jean-Pierre Rey.
Jean-Pierre Rey, esprit éclectique, qui jongle pour notre plaisir, entre l’Histoire et la Géographie, « entend le bruit sourd des canons dans la plaine », le roulement des tambours, les cris des soldats et les aboiements des chiens.
Napoléon n’aimait pas les chiens. La première fois qu’il se glissa dans le lit de Joséphine, il fut mordu au mollet par le carlin de la belle. Néanmoins les soldats de Napoléon parcoururent l’Europe accompagnés de chiens-soldats, dressés et efficaces. Moustache est un de ceux-là, solide barbet normand, « dont Jean-Pierre Rey a retrouvé les Mémoires que le brave animal avait aboyé au bivouac au soir de la bataille ».
Le lecteur marche avec Moustache et son Maître au rythme des chants :
« La Victoire en chantant nous ouvre la barrière
La Liberté guide nos pas…
Tremblez ennemis de la France, rois ivres de sang et d’orgueil…
La République nous appelle, sachons vaincre ou sachons périr… »
En marche pour l’Italie (mai 1800) avec le Premier Consul, « qui a lu Tite-Live et médite à ce moment-là sur le destin d’Hannibal qui a traversé ce même col » du Grand-saint-Bernard.
« Sur cette terre d’Italie, pétrie du sang des artistes et des poètes, je peux donner libre cours, sans retenue, à mon instinct naturel : aboyer et mordre l’ennemi ».
Retour en France pour défendre préventivement Brest des Anglais ; puis, de Boulogne-sur-Mer à Calais pour préparer l’invasion de l’Angleterre.
Le 18 mai 1804, Bonaparte devient Napoléon Ier, empereur.
Mais le 29 août 1805, « un nouveau champ d’action s’ouvre devant l’Armée » : l’Europe de l’Est vers laquelle il faut encore marcher. « Devant Bonaparte, puis Napoléon, l’horizon s’éloigne sans cesse. » Ces déplacements provoquent des tribulations diverses et des débrouillardises divertissantes.
Puis arrive la bataille d’Austerlitz.
« Plutôt que la cavalcade des généraux, devenus pour certains maréchaux, l’Histoire retiendra de la bataille d’Austerlitz mon courage ».
« Le général Lannes ordonne qu’on me mette au cou un ruban rouge ». L’Empereur déclare : « Moustache aussi est un brave. Il a bien mérité de la Patrie. »
À Iéna, le 14 octobre 1806 : les chiens-soldats dans le brouillard jettent la panique chez les Prussiens.
À Eylau, le 8 février 1807 : la guerre contre les molosses russes.
À Friedland, le 14 juin 1807, Moustache ramène entre ses dents la bride de deux chevaux abandonnés, sous les encouragements des Dragons.
À Tilsitt, le 7 juillet 1807, Napoléon jette à la cantonade : « Voilà Moustache, mon plus vaillant soldat ».
Octobre 1807 : en marche pour le Portugal où les Anglais règnent en maîtres.
En 1808, le maréchal Murat gagne Madrid par Burgos et Valladolid, et Napoléon décide de mettre sur le trône d’Espagne son frère Joseph.
À Madrid « le peuple et le clergé ont levé les armes et dépavé les rues. Ils ont monté les pavés dans les étages supérieurs pour les jeter sur nos hommes. »
Mais tous ne voient pas la guerre de la même façon. Ainsi selon Moustache, à la bataille de Bailen (3 juillet 1810), « la brigade canine participe aux combats et nous contribuons joyeusement à la débandade de l’ennemi. ».
Cependant la guerre des partisans qui se généralise sort du caractère habituel et déroute les officiers et les soldats. À Saragosse, c’est une guerre de rue. Dans la campagne ce sont harcèlements et embuscades.
Mais au début de l’hiver, la bataille d’Ocaña est une écrasante victoire française.
Moustache se rappelle :
« Ce soir, nous mangeons tous les trois avec Jean-Pierre Rey, et j’ai droit pour ma pitance à une ration d’officier supérieur. »
« Ai-je aimé la guerre ? »… « J’ai assumé mon destin et j’ai aimé ma vie. »
À Badajoz, le 11 mars 1811, alors que la victoire française est certaine, un boulet espagnol fauche Moustache, qui se tenait à la tête de la brigade canine. Il est enterré où gisent plusieurs dizaines de soldats, avec son ruban rouge.
« Moustache, avec sa brigade canine, ne connut, ni Waterloo, ni Sainte-Hélène. Son nom est à jamais associé à la mémoire de l’épopée napoléonienne ».
Le 11 mars 2006, un hommage lui a été rendu et une plaque a été posée au cimetière des chiens d’Asnières-sur-Seine par les Amis du Patrimoine napoléonien.
Voilà un ouvrage original et divertissant.
Préface de Jean Tulard.
Éditions Glyphe, 2019, 150 p., 14 €
Marie RAULT-FERRÉ
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