Ne nous y trompons pas : quoique seulement affairé, dit-il, à réformer le pays, Emmanuel Macron agit comme tous ses prédécesseurs, il n’y a pas de changement : à peine élus, ils songent tous à leur réélection. C’est dans cette perspective qu’il faut voir la désignation par le chef de l’Etat de Christophe Castaner comme président de son parti La République en marche (LREM), ce qui pourrait ne paraître qu’anecdotique et loin de la future campagne présidentielle.
Lu pour vous dans le Bulletin d’André Noël.
Avant d’aller plus avant, observons qu’il est singulier que ce soit le président de la République qui choisisse le chef d’un parti, quand bien même il serait le sien, à l’heure où tout le monde ne jure que par la démocratie. C’est une pratique qui a eu cours sous le gaullisme triomphant et qui était alors critiquée par les socialistes qui se vantaient du mode démocratique par lequel leur premier secrétaire était désigné. La réalité était bien autre…
Mais chez Macron c’est une pratique désormais habituelle que d’imposer ses volontés en feignant de respecter celles de la base. C’est ainsi que ses « marcheurs » ont été étonnés de ne retrouver que très peu des propositions qu’ils avaient recueillies auprès des Français pendant des mois de marche à travers l’Hexagone. Le programme présidentiel a été élaboré par ses proches collaborateurs, notamment des technocrates membres de son cabinet à Bercy, ceux-là même qui cogèrent le pays avec lui à l’Elysée.
Le préféré des adhérents de LREM était le secrétaire d’Etat aux finances, Benjamin Griveaux, mais ceux qui doivent tout à Macron ne lui refuseront rien et, sauf surprise, entérineront le choix du favori du chef de l’Etat. Pourquoi ce dernier préfère-t-il Castaner, secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement ? Parce que, à ses yeux, c’est l’anti-Wauquiez. Macron anticipe déjà l’axe de la campagne de Wauquiez lors de la présidentielle car il ne doute pas qu’il sera candidat quoique, évidemment, nul ne peut avoir de certitude quatre ans et demi avant l’échéance, mais cela lui paraît le plus probable.
Laurent Wauquiez a choisi un créneau politique très sarkozyste — d’ailleurs l’ancien président le soutient — à savoir : «A droite, toute ! », dénonçant les élites qui ont « trahi » le peuple, en appelant à la «majorité silencieuse », concluant lors de son premier discours de campagne pour la présidence de LR à Mandelieu-la Napoule : «Je préfère ce vieux pays si émouvant au triste village global qui n’est que la vitrine déshumanisée d’un monde sans racines. »
Mais il s’agit de savoir si cela procède de réelles convictions ou d’une posture électorale En 2007, l’élection passée, le président Sarkozy a édulcoré son programme une fois les voix du FN partiellement «siphonnées ». Et l’on s’est retrouvé avec, entre autres, l’abrogation de la prétendue «double peine » pour les immigrés délinquants !
Ce créneau, pour Wauquiez, est destiné à faire de Macron le candidat de la gauche mondialisée, européanisée, sans lien avec le peuple qu’il traite avec condescendance et, parfois, avec mépris. Il est « hors sol » dit Wauquiez, tandis que lui serait enraciné dans la France profonde au Puy-en-Velay dont il fut maire, et en Auvergne dont il préside la région. Son directeur de campagne, Guillaume Peltier enfonce le clou : « Contrairement à Emmanuel Macron, nous ne vouons pas un culte aux nouveaux veaux d’or de la religion du libre-échange, qui écrase nos paysans, nos ouvriers et nos savoir-faire. »
Pour répondre à cette critique que Wauquiez va marteler jusqu’en 2022, Macron a donc choisi Christophe Castaner, au moins jusqu’à l’éventuelle campagne présidentielle où il répondra lui-même. Certes, si Castaner est bon débatteur, Benjamin Griveaux l’est aussi ; toutefois le profil du premier est meilleur que celui du second pour porter la contradiction au futur chef de LR. Ancien maire de Forcalquier, on ne peut l’accuser de parisianisme, son accent en témoigne, ni d’être un bobo ; né d’une famille modeste, il a un seul diplôme de juriste. Wauquiez, lui, n’a pas de racines provinciales, il est né et a fait ses études à Paris. Bardé de diplômes, il est passé par l’Ecole normale supérieure, en sort avec une agrégation d’histoire, puis rejoint Sciences Po et l’ENA et intègre le Conseil d’Etat avant d’entrer en politique : parcours classique de futur technocrate, analogue à celui de… Macron.
Castaner en fin d’études n’obtient qu’un poste de conseiller juridique à la BNP. Il est donc armé, pense Macron, pour combattre Wauquiez sur le terrain de l’authenticité rurale, de l’enracinement et de la dénonciation des élites. Certes, cela ne suffira pas à faire réélire Macron mais du moins ce dernier, en plaçant Castaner à la tête de ses troupes et en faisant de lui le visage de LREM dans les media, met en place un premier dispositif et applique le principe de précaution.
Bulletin d’André Noël n°2536 du 30 octobre 2017.
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