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L’intelligence artificielle ou l’exploration du futur

ByLectures Francaises

Fév 21, 2018
transhumanisme-cervelle-l-intelligence-artificielleLe transhumanisme est «une idéologie qui pretends prendre la place de Dieu dans sa création» expliquait le Dr Jean-Pierre Dickès dans Présent (29 décembre 2015).

Finkielkraut, qui se vante de ne pas posséder de smartphone — tout en reconnaissant qu’il s’agit peut-être d’un handicap — a, pour son émission Répliques du 23 décembre 2017, invité un thuriféraire et un pourfendeur de l’intelligence artificielle. Le premier, Laurent Alexandre, chirurgien et neurobiologiste, est l’auteur de La Guerre des intelligences (JC Lattés). Le second, Olivier Rey, polytechnicien, mathématicien, membre du CNRS et dorénavant professeur de philosophie à l’Université Paris I, a publié son deuxième roman, Après la chute, chez Pierre-Guillaume de Roux.

Lu pour vous dans Présent.

Prenant l’attitude de Candide, Finkielkraut se présente comme « un vieil homme du vieux monde qui a besoin d’une mise à jour et de savoir ce qui nous attend ». Il interroge donc celui qui sait, Laurent Alexandre, et le piège en même temps, en le poussant à dire jusqu’où vont sa foi et son espérance en l’intelligence artificielle.

Le débat va très vite passer du domaine du savoir à celui des passions que suscite le transhumanisme. Alexandre définit d’abord deux intelligences artificielles : l’IA faible, ensemble de techniques informatiques capables de faire ce que fait notre intelligence, avec des nuances : à l’IA ce qui relève de la comptabilité et de la technique, à l’intelligence humaine, l’esprit critique, la pluridisciplinarité, le travail collectif, les humanités.

Mais une autre, dite IA forte, consciente d’elle-même — qui n’existe pas encore — mais sera capable, selon Elon Musk, de concurrencer et même de supplanter l’intelligence humaine et de se retourner contre l’homme dans une dizaine d’années. Entre les deux intelligences il y a, à l’évidence, une différence, non de degré mais de nature.

Inéluctable et exaltante ?

L’enjeu est donc de travailler en amont, de réfléchir à ces technologies avant qu’elles ne s’imposent. Laurent Alexandre semble ainsi décrire objectivement une situation. En réalité, quand il évoque l’IA, ce n’est plus le scientifique qui parle, mais le croyant, et le croyant fanatisé.

Il ne veut pas réparer l’homme, mais l’augmenter. Pour cela, il faut, dès avant l’école, mettre des microprocesseurs dans le cerveau des enfants. «Pourquoi l’implant cérébral s’imposera », dit-il avec Elon Musk. A ce « pourquoi ? » la réponse est simple : parce que les géants du numérique, GAFA américains (Google, Apple, Facebook, Amazon) et BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), développent l’IA et que les enfants européens, sous peine d’être des attardés, seront obligés de suivre.

Cette perspective d’une humanité augmentée est pour Alexandre non seulement inéluctable, mais heureuse, elle est « conquête de l’espace, maîtrise de la mort ». « Nous vivons la période la plus exaltante que nous ayons connue. » Elle ne supporte donc pas la moindre critique ou la moindre réserve.

Finkielkraut et Rey ont beau jeu de lui rappeler que, dans son livre, l’auteur traite ses contradicteurs d’«hystériques, vieilles filles ménopausées, vieux messieurs qui auraient besoin de viagra». Finkielkraut fait partie, selon Alexandre, des « philosophes de la fermeture et qui ont peur des nouveautés » ; du « club des personnes âgées qui parleraient du temps béni de l’après-guerre ».

L’IA n’est plus un choix, mais le sens de l’histoire et correspond, selon l’auteur, au vœu humain de coloniser le cosmos et de ne pas accepter la mort, c’est-à-dire au refus de la condition humaine et de ce qu’il appelle ironiquement « la loi du Seigneur ».

Il y a là ce que les Grecs anciens appelaient la démesure, l’hubris ; ou encore la subversion de l’interrogation biblique « Quis ut Deus ? » (qui est comme Dieu ?) en affirmation et en promesse : « Eritis sicut dei » (vous serez comme des dieux). Et d’ailleurs Laurent Alexandre classe les hommes en deux catégories : les conservateurs et les progressistes, les augmentés (qu’il appelle parfois « des dieux ») et les inutiles ; et « demander leur avis aux inutiles, commente-t-il, c’est donner le droit de vote aux chimpanzés ; la démocratie ne le supportera pas ».

Semblant « mettre l’infini à portée de tout un chacun », la pensée d’Alexandre est en fait réductrice. L’IA est son unique horizon ; elle transforme le QI en QCIA (quotient complémentaire de l’IA qui devient l’étalon). Si on lui demande de définir l’intelligence humaine, il répond : « L’intelligence est puissance de calcul, elle nous permet de prendre le pouvoir et de nous reproduire. » Elle réduit la culture à l’information et au calcul, elle exclut la critique et la mise à distance, et donc, « l’école de demain sera transhumaniste ou ne sera pas ».

Le cauchemar du transhumanisme

Finkielkraut et Olivier Rey ne souscrivent évidemment pas à cette conception réductrice et totalitaire. Olivier Rey rappelle le Premier livre des Rois et Salomon qui a inspiré à Finkielkraut le titre d’un de ses livres : invité par Dieu à exprimer son vœu, Salomon demande « un cœur intelligent ». L’intelligence, non comme instrument de domination, mais comme faculté de discerner le bien du mal, de rendre la justice, d’accueillir le monde dans sa vérité. Finkielkraut objecte à Laurent Alexandre que, si on numérise l’école, la transmission risque d’être sacrifiée à la seule communication, et la culture à la pure information.

Il mentionne les vertus intellectuelles selon Aristote : la techné, la sophia, la phronesis (la prudence), la sophrosuné (la tempérance ou la modestie), et remarque que, pour Heidegger, il y a la pensée calculante et la pensée méditante. Réduire l’intelligence à la première (ou à la technè), c’est la priver de la capacité de réflexion et l’entraîner dans tous les progrès ou supposés tels.

Olivier Rey se définit volontiers comme un « bio-conservateur ». Face à la dystopie du Meilleur des mondes, face au cauchemar qu’est pour lui le transhumanisme, il prône la permaculture, la volonté d’œuvrer avec la nature, en complémentarité avec elle, et non avec l’IA, dans la conscience de la précarité des conditions de vie sur terre.

Jean-Marie Le Méné, auteur de Les Premières victimes du transhumanisme (Pierre-Guillaume de Roux), déplorait l’actuel « néant philosophique », et qu’on soit passé du « théocentrisme à l’anthropocentrisme, au biocentrisme, puis aujourd’hui au technocentrisme », qui justifie l’idéologie transhumaniste et donne à l’homme l’illusion de la toute-puissance.

Finkielkraut et Olivier Rey en dégagent les expressions et proposent des remèdes. Alors que l’IA donne la disponibilité totale et immédiate, Finkielkraut revendique le sens de l’indisponible, de ce qui n’obéit pas à la commande. Rey condamne toutes les formes d’illimitation qui sont des moyens de nous étourdir et de fuir désespérément la mort. Il reprend l’aphorisme de Léopold Kohr : « Dans l’immense, tout s’effondre, même le bien », et la pensée d’Aristote selon lequel pour qu’une chose soit bonne, il faut qu’elle ait une taille appropriée à sa nature et à sa fonction, et qui estime que l’homme s’épanouit et fructifie à l’intérieur d’un monde proportionné à ses facultés.

C’était aussi, selon Camus, la vocation de l’homme : non pas refaire le monde, mais empêcher que le monde ne se défasse.

Danièle Masson

Présent n°9049 du 13 février 2018

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