L’impôt + Révolution = injustice

L’impôt et sa régulation sont avant tout affaires politiques. Oscillant entre la centralisation étatique à outrance ou le transfert total des charges de l’État vers les échelons subalternes de la société, il semble n’y avoir pas de solution. Sauf si…

Lu dans Le Lien Légitimiste :

L’impôt juste existe-t-il ?

Causes du poids de l’impôt. Une croissance continue de l’État face à une société décomposée.

L’impôt léger, ou confiscatoire, a toujours le tort d’exister. La main de l’État se manifeste toujours trop. Suite de la chronique de Gabriel Privat.

Cette manière qu’a l’État, en France et dans la plupart des pays déve­loppés, de se mêler de tout au risque de l’hypertrophie et de la réduction jusqu’à l’anémie de la société civile comme corps organisé de toutes les parts de la nation, est une tendance fort ancienne.

On ne connaît pas de siècle où l’État n’a pas eu cette pente. Il suffit de lire les édits de nos rois pour s’en rendre compte. Certes, cette intrusion était, et est encore le plus souvent, fondée sur la bienveillan­ce, le souci du Bien commun. De la sor­te, lorsque l’État se mêle de placer dans toutes les habitations des détecteurs de fumée, ou lorsqu’au Grand Siècle il inter­disait l’usage de dentelles étrangères, il s’agissait de mesures en vue du Bien com­mun ; la protection des personnes dans le premier cas, la défense de l’industrie fran­çaise dans le second. Mais on voit bien que pour rendre ces mesures applicables, il faut une intervention directe dans la vie intime des hommes. Cette intervention a un coût, financé par l’impôt.

Lorsque la mesure est par trop anec­dotique, comme celles que nous avons citées, l’État renonce à prendre les moyens nécessaires à son application. Il n’en est pas de même pour les démarches jugées nécessaires à la vie de la nation, comme l’organisation de l’assurance maladie, la sécurité routière, l’équipement des éta­blissements scolaires etc., pour prendre des exemples d’aujourd’hui. Dans les siècles passés, l’État royal renonçait vite et se concentrait sur ses missions réga­liennes, la défense du territoire national, la construction des grands axes routiers, la marine, la diplomatie etc. Les actions sociales d’État étaient marginales, fondées sur la volonté directe du prince agissant en souverain chrétien et charitable. Le quotidien de l’action sociale, du monde du travail, de l’instruction publique, de l’aménagement du territoire était réglé par les corps intermédiaires de la nation (corporations, jurandes, congrégations religieuses, diocèses et paroisses, confré­ries, familles, seigneuries etc.) L’État, fau­te de moyens d’action et lié étroitement à la société dont il était la tête, respectait ces corps et n’osait leur passer dessus. La ten­dance générale était pourtant à un renfor­cement général du poids de l’État, dont la Révolution fut la continuatrice comme l’analysa Tocqueville en son temps.

Mais la Révolution, en renversant la société d’Ancien Régime, rendit possible une démultiplication du poids de l’État dans des proportions inimaginables avant 1789. Il n’y avait plus de corps intermé­diaire pour s’opposer à l’État. Il n’y avait plus que l’État et les individus. Celui-ci pouvait imposer sa protection à sa guise au nom du Bien commun. Cette emprise nécessitait des moyens. La fiscalité poussa ses tentacules avec une efficacité dont les rois avaient rêvé sans jamais oser la met­tre en pratique. Cependant, l’édifice de dix-huit siècles ne peut être balayé en une seule secousse de vingt ans, aussi brutale fut-elle. Les attachements régionaux, les vieilles solidarités, les familles demeurè­rent encore un temps, et les agents mêmes de l’État, pétris par ce monde, n’imagi­naient pas outrepasser les limites fixées par ces corps subsistants de l’ancienne France.

Il fallut deux nouvelles secousses. La Première Guerre mondiale, avec l’émer­gence de l’impôt sur le revenu et l’aug­mentation des droits de succession, montra que la société était suffisamment malléable pour accepter un élèvement brutal du taux d’imposition et de l’action de l’État. La Seconde Guerre mondiale, révolution sociale et humaine par l’am­pleur des destructions sur tout le terri­toire, le renouvellement des élites sociales à l’occasion de l’épuration entre 1944 et 1946, et le discrédit porté à tort ou raison sur le temps passé, permit la mise en pla­ce définitive d’un système de protection sociale universelle, pris en charge par la puissance publique, et dont les prémi­ces étaient apparus déjà dans les années d’avant-guerre, puis d’occupation. Dès lors, tout l’appareil indispensable à notre système fiscal actuel était en place. Ses proportions démentes d’aujourd’hui ne sont que les excroissances des dérives décrites ici.

Cela fut rendu possible par l’affaisse­ment de la société civile comme ensemble de corps organisés.

Aujourd’hui, alors que l’attachement territorial est faible, que les familles ne sont plus que des associations temporai­res d’individus esseulés, que les associa­tions ne font plus recette, que les ordres professionnels sont contestés par leurs membres mêmes et que les syndicats ne représentent plus personne, sans par­ler du poids désolant des Églises, on se demande bien comment la société civile pourrait donner du répondant face à l’entreprise de bienveillance de l’État. Le drame de toute société purement démo­cratique et atomisée est là. Tocqueville en 1840, Fukuyama en 1995 le théorisè­rent chacun à leur manière avec crainte et désabusement, constatant que le besoin d’égalité des sociétés démocratiques ne détruisait certes pas les libertés indivi­duelles, qui fleurissent dans toutes les sociétés démocratiques, mais s’attaquait aux corps organisés de la société, barriè­res à l’égalité totale et aux libertés indivi­duelles totales.

Ces corps, pourtant, avec leurs libertés propres, s’ils arrêtent l’égalité absolue et la liberté totale de l’individu, sont des cen­tres protecteurs pour chacun et promeu­vent d’autres formes de libertés, grâce à la sûreté publique et aux liens de solidarité entretenus par eux. Faute de ces structures, afin que l’individualisme ne devienne pas la guerre de tous contre tous, l’État assume, seul, l’œuvre législative et réglementaire. L’hyper-contractualisation de la société ne doit trom­per personne, ni même l’affais­sement de l’État providence. En réalité, il demeure partout, sous une forme ou une autre, qu’elle soit nationale ou supra-nationale. Il organise les rapports entre les individus jusque dans les moin­dres détails, encadre le laisser-faire et vole au secours des échecs contractuels. Il est la puissance tutélaire qui veille à tout, c’est en somme une dictature amoureuse à l’étreinte pour le moins étouffante. La fiscalité n’est que l’un des a­vatars de cette structure.

L’oubli du principe de subsidiarité

Ce défaut des États qui a pris de telles dimensions depuis l’avènement des so­ciétés démocratiques et le long détricotage des structures anciennes héritées des aristocratismes antiques et de la féodali­té européenne, s’explique aisément par le mépris total pour un principe pourtant essentiel des relations humaines, celui de la subsidiarité.

La subsidiarité consiste en ce que cha­que échelon social ou groupe humain as­sume, prioritairement et de manière légi­time toutes les tâches pour lesquelles il est le plus compétent et le plus efficace. Ce n’est pas la décentralisation, où la tête octroie des compétences vers la base, sou­vent avec méfiance et de manière impar­faite. C’est l’exact inverse, où les échelons premiers consentent à donner des préro­gatives à un échelon supérieur qui leur est commun, afin d’assumer des tâches qu’ils ne peuvent mener seuls. Il ne s’agit pas tant d’ailleurs d’une pyramide que d’un enchevêtrement de réseaux, du plus complexe au plus simple.

Ainsi, une famille est la mieux à même de savoir ce qui est bon pour réaliser sa vie, pour éduquer les enfants sortis de son sein ou plus prosaïquement pour amé­nager ses biens. Mais elle doit s’en remet­tre à un syndic pour ce qui est commun à son immeuble ou son quartier, à une association familiale pour ce qui est commun à toutes les familles, comme la politique d’allocations ou de construc­tion de crèches, à une école pour l’instruction des enfants qu’elle ne peut en­tièrement assurer, à des églises pour sa construction morale, à des banques pour la seconder dans la gestion de son patri­moine etc. Ces institutions, elles-mêmes, appartiennent à des réseaux régionaux, puis nationaux. À ces structures sociales s’ajoutent encore des structures politi­ques, qui ne sont pas strictement parallè­les, mais enchevêtrées dans celles-ci, du conseil de quartier jusqu’au gouverne­ment de la nation. Ces institutions mul­tiples existent dans nos sociétés contem­poraines comme dans celles de jadis…

La grande différence est l’intrusion de l’État à tous les niveaux, dans toutes les actions, par ses directives, ses contrain­tes autant que ses aides. Son intervention brouille les repères d’autorité et déres­ponsabilise les groupes intermédiaires qui s’en remettent toujours à lui ou à l’é­chelon supérieur avant de s’en remettre à leur propre groupe pour ce qui est de leur compétence.

Dans le domaine fiscal, on comprend bien que les différents échelons doivent être participants pour les taxes les concer­nant, et que s’il est tout à fait concevable que, pour des raisons pratiques, le prélè­vement de l’impôt soit assumé par une seule institution, le Trésor public, il est anormal que la décision de créer, suppri­mer, augmenter ou diminuer un impôt échappe aux acteurs locaux.

En effet, une taxe sert avant tout à sou­tenir les besoins de fonctionnement d’u­ne structure publique. Son utilisation à des fins économiques est seconde. Or, il apparaît normal que les conseils de quartier, les municipalités, les commu­nautés de communes, les départe­ments, les régions aient leur mot à dire pour non seulement décider de l’assiette et du taux de l’impôt, mais encore de savoir s’il convient de créer ou de supprimer une taxe, tant il est vrai que chaque structure a des besoins particuliers, mais aussi est soumise à des mutations conjonc­turelles et temporaires, qui néces­sitent des réactions rapides dans le domaine fiscal qu’un État ne peut accomplir qu’avec une certaine len­teur et lourdeur, en restant toujours au niveau national.

L’État, en organisant seul l’im­pôt, en allant jusqu’à interdire aux parlementaires d’établir des propo­sitions de lois qui alourdiraient ou diminueraient les charges publiques, est amené à prendre aux citoyens le droit légitime qu’ils possèdent de gérer les structures publiques à leur échelle. Les systèmes de dotations publiques aux col­lectivités territoriales sont un bon exem­ple de l’implication directe de l’État dans les finances des échelons intermédiaires, ceux-ci n’étant pas à même de maîtriser leurs structures de fonctionnement admi­nistratif, et leur fiscalité.

Cette déresponsabilisation générale des acteurs civils est une méconnaissan­ce profonde du principe de subsidiarité, une application sans discernement d’une rationalité administrative pure, couron­nant un rapport de forces toujours en faveur de l’État, comme s’il était un corps à part de la société civile et la cause de bien des maux actuels.

Pour autant, un effacement rapide de l’État ou le transfert total aux échelons inférieurs de la gestion de la fiscalité et de l’administration qui leur correspond, dans la situation actuelle de la société française, serait une catastrophe encore plus grande que la mainmise présente. S’installerait immédiatement la concurrence désor­donnée entre les collectivités territoriales, l’effondrement des plus faibles des grou­pes humains et enfin la guerre sociale de tous contre tous.

La solution à ces maux réside dans une réforme graduelle, mais radicale, de la société française. En somme, la réponse au mal fiscal est avant tout politique.

À suivre… Gabriel Privat

Le Lien Légitimiste, n°73, janvier-février 2017

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