Les Loubavitch, l’empire méconnu – Entretien avec Pierre Hillard

Les Loubavitch, l’empire méconnu – Entretien avec Pierre Hillard

Lectures Françaises : Vous venez de publier un nouveau livre intitulé Comprendre l’empire loubavitch [1]. Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui vous ont amené à rédiger cet ouvrage ?

Pierre Hillard : M’intéressant au mondialisme qui est un messianisme, à ses acteurs et à ses références doctrinales ainsi qu’aux relations entre les mondes judaïque et anglo-saxon, j’ai pris conscience de l’importance de différentes factions juives agissant pendant des siècles sur le cours de l’histoire mondiale. Sans tout citer, on peut rappeler l’alliance étroite entre le roi d’Angleterre Henry VIII (1491-1547) et la famille Mendez ayant fait fortune dans le poivre et soutenant financièrement sa politique ou encore l’appui de riches commerçants juifs alertant Elizabeth Ire (fille d’Henry VIII) de l’arrivée de l’invincible Armada de Philippe II d’Espagne voulant attaquer par surprise l’Angleterre. Le point essentiel caractérisant ces différentes factions juives, c’est le rejet violent de l’Incarnation qui structure littéralement leur comportement. Le monde loubavitch n’est que la énième faction de ce monde judaïque divers qui n’a fait que croître en importance depuis son apparition au XVIIIe siècle.

L. F. : Quels sont les éléments qui ont rendu possible l’apparition de cette représentation loubavitch ?

P. H. : Pour comprendre l’importance du monde loubavitch si méconnu en France, il faut d’abord rappeler quelques antécédents rendant possible son apparition. Comme il a été précisé précédemment, le judaïsme rabbinique n’a pas reconnu la messianité du Christ. Pour ce milieu, le vrai Messie n’est pas arrivé. Le Christ est un imposteur et il est châtié dans des excréments bouillants comme le rappelle le Talmud, code religieux, civil et politique du judaïsme élaboré entre 100 et 500 ap. J.-C. En raison de cette opposition farouche au christianisme, les élites juives misent sur l’arrivée du « vrai messie » devant apporter la gloire et la primauté à Israël aux dépens des nations. Il s’en est suivi l’émergence d’une myriade de « messies » juifs. Sans tous les aligner, relevons des noms comme Shimon bar Kokhba au IIe siècle, Moïse de Crète au Ve siècle, Abu Isa en Perse au VIIe siècle et… en sautant quelques siècles, citons Sabbataï Tsevi au XVIIe siècle ou encore Jacob Frank au XVIIIe siècle, ces deux derniers prônant « la rédemption par le péché ».

Cette expression étonnante se doit d’être expliquée. En effet, il faut cerner ce concept avant d’évoquer les ambitions propres au monde loubavitch. L’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 a provoqué un traumatisme au sein du monde juif. Le rabbin Isaac Louria (1534-1572) a voulu donner une réponse satisfaisante à ce problème en associant l’exil du peuple juif à l’exil de Dieu, ce dernier ayant perdu (selon lui) une partie de sa substance appelée « étincelles de divinités » au moment de la création du monde. Afin d’y remédier, Louria a promu (entre autres) les bienfaits de la kabbale, cette dernière permettant d’évoquer les esprits afin d’obtenir des réponses permettant le salut du monde juif mais aussi de trouver des explications dans les textes sacrés en jonglant avec des combinaisons numériques de chiffres et de lettres, méthode appelée guematrie. Par la suite, ce messianisme juif a été exalté en raison de l’idée que l’accumulation du mal en tout genre (guerres, krach financier, génocides, famines, renversement des lois de la morale, etc) permettrait d’accélérer la venue du « Messie » chargé de rétablir définitivement la gloire d’Israël. Ce type de concept a été promu par certaines factions juives tandis que d’autres s’y opposaient farouchement.

Ces fameux messianistes promouvant la rédemption par le péché comme Sabbataï Tsevi et Jacob Frank ont été combattus par une frange du monde rabbinique s’opposant à ce type de pensée mêlé de kabbale et de promotion du mal absolu. Ces élites rabbiniques ont préféré mettre en valeur des valeurs juives intellectualisées et débarrassées de cette approche mystico-messianique. En raison de cette sécheresse doctrinale, une frange de ce milieu judaïque appelé hassidisme signifiant « piété », sous l’influence de personnalités comme Baal Shem Tov et Maguid de Mézeritch, a élaboré au cours du XVIIIe siècle une doctrine mêlant connaissances intellectuelles approfondies tout en se nourrissant de l’héritage messianique apocalyptique promu par les « messies » Tsevi et Frank. Ce hassidisme a rendu possible l’émergence de la dynastie loubavitch dont la première figure de proue est le rabbin Shneur Zalman (1745-1812). Ce dernier est l’auteur d’un ouvrage de référence pour les Loubavitch appelé « Tanya » composé de 53 chapitres. On y trouve des passages condamnant les non-Juifs dans leur ensemble avec des extraits comme « Les âmes des nations du monde ne contiennent aucun bien» (Chapitre I) ou évoquant les « quelipot» (« souillures » sous-entendues chrétiennes) empêchant le retour du Machia’h ou « Messie », il précise que de celles-ci « découlent les âmes de toutes les nations» (Chapitre VI).

Alors que Tsevi et Frank prônaient le chaos absolu et immédiat pour accélérer l’arrivée du « Messie » (guerres, génocides, famines, etc), la pensée doctrinale loubavitch a consisté à canaliser cet « idéal » sur le temps long. L’universitaire israélien et grand spécialiste de ces questions, Gershom Scholem, définit ce concept par l’expression « neutralisation du messianisme ». En établissant une comparaison avec l’énergie nucléaire pouvant aboutir soit à une explosion immédiate soit à une forme de canalisation dans le cadre d’une fission contrôlée puis déclenchée, le messianisme loubavitch consiste à se nourrir de cet arrière-fond apocalyptique propre au sabbatéo-frankisme tout en en maîtrisant les dérives violentes… un certain temps.

L. F. : Comment le milieu loubavitch a-t-il évolué dès son apparition sur la scène européenne ?

P. H. : Tout d’abord, nous devons définir les termes Chabad ou Habad loubavitch. « Chabad » ou « Habad » est l’acronyme hébreu de « sagesse », « compréhension » et « connaissance » tandis que loubavitch tire son nom de la capitale où résidait cette communauté en Russie : Lioubavitchi. Née en Russie, sa direction s’est rangée du côté du tsar pour combattre l’invasion napoléonienne de 1812. Il faut savoir que le rabbin loubavitch Shneur Zalman avait envoyé un de ses représentants servir d’interprète auprès de l’état-major napoléonien. Cet interprète était en fait un espion qui renseignait les dirigeants militaires russes des ambitions et des objectifs de la Grande Armée. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)

Propos recueillis par la rédaction

[1] – Sous-titré : Une dynastie royale et messianique (The BookEdition, septembre 2024). 292 pages, 26 annexes en noir et blanc, 26 €.

 

Cet extrait du numéro 811 (novembre 2024) de Lectures Françaises vous est offert. Pour lire la suite, commandez le numéro ICI !

Découvrez nos offres d’abonnement