C’est la Terre la plus sainte et la plus maudite à la fois, c’est la terre promise par Dieu pour son peuple élu ; mais c’est la terre marquée par tous les paradoxes, les paradoxes les plus consternants de l’Histoire : paradoxe des promesses et des attentes ; paradoxes des alliances et paradoxes de la guerre et l’horizon toujours éloigné de la paix.
Paradoxe des promesses
Il y a des promesses millénaires et il y a des promesses centenaires. La millénaire, celle faite à Abraham il y a plus de 3000 ans par Dieu en personne, qui lui promet la terre de lait et de miel, la terre dite justement promise : « Je ferai de toi une grande nation, et je te bénirai ; je rendrai ton nom grand, et tu seras une source de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront ; et toutes les familles de la terre seront bénies en toi » (Genèse 12:2-3). Abraham obéira malgré le sacrifice de son fils Isaac que Dieu exigera de lui comme épreuve ultime, mais que l’ange freinera, comme Rembrandt l’a magnifiquement peint.
Dans cet appel, juifs, chrétiens et musulmans se reconnaissent et revendiquent la promesse chacun à sa manière et chacun avec ses références dans son Livre, qu’il soit respectivement dans la Torah, La Bible ou le Coran. Tous ceux qui croient que cette divergence dans la réception de la vocation du patriarche fondateur est trop ancienne pour être une cause majeure dans la crise actuelle qui sévit au Proche-Orient se trompent. Au contraire elle est la vraie source d’intelligence du conflit car sur cette terre le temporel et le spirituel ne seront jamais séparés : ils sont à la racine de tout ce qui se vit, de tout ce qui respire et meurt. Car ils sont tous fils d’Abraham, mais les juifs descendent de la lignée légitime de l’épouse Sarah, les musulmans de la lignée illégitime de la servante Agar et les chrétiens d’une lignée purement spirituelle qui confesse un Dieu unique créateur du ciel et de la terre, de l’homme et de la femme selon le récit de la Genèse. C’est la présence des chrétiens d’Orient, comme un tiers absolu entre les juifs et les musulmans, qui a permis à saint Paul de devenir cet apôtre des nations, élargissant la promesse de Dieu à l’humanité entière : « Vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. Et si vous êtes à Christ, vous êtes donc la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse » (Galates 3:27-29). Ainsi, les temps seront réconciliés : temps de l’Alliance avec Abraham ; temps de la Loi avec Moïse ; temps de l’esprit avec le Messie. Mais cette réconciliation est impossible pour les juifs qui n’ont pas reconnu en Jésus de Nazareth le Messie attendu ; impossible pour les musulmans car le Christ n’est pas le dernier des prophètes, ce rôle revient à Mahomet. Devant cette conciliation difficile spirituelle avec les promesses de Dieu, les Fils d’Abraham peuvent-ils se contenter des promesses des hommes ?
C’est là où les promesses centenaires des grandes nations trouvent leurs places : la centenaire c’est celle faite par Lord Balfour en 1917 et qui promet aux deux peuples juifs et arabes deux États indépendants avec des relations diplomatiques, culturelles et commerciales. Malgré l’accueil d’une bonne partie des arabes et la confiance qu’ils ont mis dans l’intelligence, les capacités et les fortunes juives qui pourraient être investies dans la terre de Palestine, l’affaire tournera mal quand les accords Sykes-Picot de 1916 entre la France et le Royaume-Uni seront signés, éloignant ainsi l’idée d’une grande nation arabe, que les nouvelles frontières rendaient impossible à réaliser. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)
Antoine-Joseph ASSAF
Entretien avec Antoine-Joseph Assaf
L’armée israélienne a mené fin septembre des frappes d’envergure au Liban qui ont tué le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et achevé de décapiter et de désorganiser la milice chiite longtemps présentée comme un adversaire compliqué pour Israël. Quelles conséquences cela peut-il avoir pour l’État hébreu ?
Depuis le 7 octobre 2023 et le massacre perpétré dans les Kibboutz du sud d’Israël, le principal objectif de Tsahal était d’éradiquer la milice du Hamas. La réaction du Hezbollah avait été de soutenir le Hamas à partir du Sud-Liban par des tirs de roquettes et de missiles sur la région nord de la Galilée qui ont provoqué l’exode de plus de 60 000 israéliens. La grande majorité des Galiléens réclamait une opération militaire contre le Hezbollah pour retrouver leur foyer. Tsahal a attendu de pratiquement terminer son opération à Gaza pour pouvoir se consacrer à une nouvelle opération contre le Sud-Liban et le Hezbollah. Sa réponse a été foudroyante. Après l’attaque contre le système de communication du Hezbollah censé protéger celui-ci des infiltrations du Mossad (attaque qui a fait plus de 4000 blessés), Israël a liquidé une partie de son arsenal et toute sa direction avec, en point d’orgue, son chef dans le bombardement du QG de la milice dans la banlieue sud de Beyrouth. Par cette opération, Tsahal a atteint un but de guerre annoncé par Nétanyahou. Israël va désormais mieux maîtriser sa frontière nord. Sur le plan politique, Nétanyahou répond aux demandes des Galiléens d’assurer leur sécurité et leur retour dans leurs foyers.
Quelles sont les conséquences de cette nouvelle donne pour le Liban ?
Le Hezbollah maîtrise la vie politique et l’armée libanaises depuis 2006. Son affaiblissement peut d’abord contribuer à renforcer le rôle de l’armée libanaise dont les Américains, et même les Israéliens, pourraient favoriser le redéploiement notamment dans le Sud, à la frontière. Le Hezbollah imposait ensuite l’élection de présidents alliés à sa cause, comme le général Aoun, et bloquait l’action de tout gouvernement qui n’obéissait pas à sa stratégie. Sa fragilisation va, à minima, faciliter l’élection d’un nouveau président de la République qu’il bloquait depuis plus de deux ans, et entamer la domination qu’il exerçait sur les autres communautés du pays.
Quelles sont les conséquences pour l’Iran dont le Hezbollah est l’un des mouvements satellites les plus puissants ?
L’Iran a perdu avec Hassan Nasrallah un chef fidèle totalement dédié à sa cause au Proche-Orient. L’affaiblissement du Hezbollah, qui était le front avancé de l’Iran à la frontière avec Israël, perturbe toute la stratégie iranienne fondée sur le fameux axe de la résistance qui va du sud de l’Irak au sud de la Syrie, du Liban et du Yémen. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)
Propos recueillis par Bertrand de LESQUEN, grand reporter de guerre
Antoine-Joseph Assaf, écrivain philosophe, est docteur ès lettres de la Sorbonne, ancien conseiller politique, conférencier à l’École de guerre et navale, et ancien auditeur IHEDN (55 SN). Il a reçu en 2016 le Prix Vauban pour son ouvrage L’Islam radical (Éditions Eyrolles, 2015, actualisé chez le même éditeur sous le titre : Les Racines de l´islam radical. Histoire, pensée, géopolitique).
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