Le cauchemar de Washington – La réalité cachée de l’Union européenne

Le cauchemar de Washington – La réalité cachée de l’Union européenne
Pourquoi les dirigeants de Washington s’emploient-ils à diviser l’Europe depuis les années 1920 ? Comment s’est organisée cette ingérence continue dans les affaires de l’Europe et avec qui ? Et quel est cet État « européen » que les eurodéputés prétendent vouloir imposer au peuple français « quels que soient les résultats électoraux de part et d’autre de l’Atlantique » [1]… Avec Les Destructeurs et Bilan noir (éditions Jean-Cyrille Godefroy) puis Empêcher l’Europe (éditions Culture & Racines), le journaliste d’investigation indépendant et écrivain Jean-Loup Izambert exhume et décrypte la réalité cachée de l’Union européenne.

Mettre à jour la réalité complexe de l’Union européenne exige de remonter à ses origines, d’examiner le contexte dans lequel cette institution s’est organisée, de connaître plus précisément les hommes au cœur de cette opération, de faire le point de son bilan pour la France et analyser le projet de ses dirigeants. De la Communauté économique européenne de 1957 à l’État « européen » en préparation en 2024 en passant par l’Union européenne de 1992, l’Europe supranationale n’a jamais été une volonté des peuples d’Europe pour être toujours façonnée par la grande finance de Wall Street.

Aller chercher l’Histoire dissimulée

Si l’idée d’une Europe supranationale trouve son origine dans les milieux impérialistes de Washington dans les années 1920, son organisation se concrétise dans les années 1941-1950. Mais l’ingérence continue des États-Unis dans les affaires intérieures de pays européens, principalement la France et l’Allemagne, n’a pu se développer qu’avec la participation de politiciens européens acquis à l’hégémonie des États-Unis, l’U.S. Imperium.

C’est notamment le cas de certains d’entre eux présentés comme des « pères fondateurs de l’Europe » auxquels je consacre un chapitre entier dans Empêcher l’Europe. En effet, au fil de mon enquête je découvre que leurs activités durant la Seconde Guerre mondiale et après la Libération furent bien différentes de celles présentées par l’Union européenne dans leurs biographies. De même de nombreux autres faits importants sont dissimulés par les manuels d’Histoire, la communication de l’Union européenne et la plupart des politiciens. Le recoupement de documents, de témoignages, de travaux d’historiens, d’archives en provenance de sources très diverses, y compris de services étasuniens comme la Central Intelligence Agency (CIA), réserve de belles surprises [2].

Des « pères fondateurs » très compromettants

Ainsi, par exemple, Jean Monnet, que l’Union européenne présente comme « l’un des fidèles conseillers du président Roosevelt » [3], fut en affaires avec des souteneurs du parti nazi aux États-Unis. Ce « père fondateur de l’Europe » participa à des opérations de maquillage juridique de sociétés du IIIe Reich. Celles-ci permettaient de camoufler par différents moyens juridiques et financiers et par des entreprises situées aux États-Unis ou dans des pays déclarés « neutres » – comme la Suisse ou la Suède– , la propriété réelle d’entreprises allemandes. Les entreprises étasuniennes pouvaient ainsi détourner le Trading with the Enemy Act, décret interdisant le commerce avec l’ennemi, et continuer leurs activités avec l’Allemagne nazie. Cette activité de Monnet et d’autres, menée tout particulièrement avec un affairiste du nom de George Murnane et des avocats du cabinet new-yorkais Sullivan & Cromwell comme John Foster Dulles, a permis à des sociétés étasuniennes de soutenir l’effort de guerre nazi par le biais de leurs filiales.

L’avocat John Foster Dulles, qui présente Jean Monnet comme « un ami intime » et s’affiche à l’époque alors comme un « champion de la démocratie », a publiquement soutenu les nazis jusqu’en 1935 et beaucoup plus discrètement par la suite pour s’enrichir en organisant des cartels avec des multinationales de l’Allemagne nazie (nickel, chimie). L’histoire officielle des États-Unis ne dit pas si ce sont ces « faits de guerre » qui lui vaudront de devenir ministre des Affaires étrangères de janvier 1953 à avril 1959 sous la présidence d’Eisenhower tandis que son frère, Allen Welsh Dulles, agent de renseignement au sein de l’OSS, sera promu à la tête de la CIA dont il sera le premier directeur civil en 1952 ! Sans doute faut-il voir dans ces connivences au sein du pouvoir de la Maison-Blanche la raison pour laquelle l’enquête ouverte par le FBI sur Monnet restera sans suite… Et l’histoire officielle de l’Union européenne ne dit pas non plus, ainsi que le rapporte mon confrère Éric Branca preuves à l’appui, que Monnet conseilla en 1943 à ses protecteurs de Washington de « détruire de Gaulle » [4] tout en s’efforçant de se rendre indispensable auprès de lui pour être réintégré au sein du pouvoir à la Libération.

Deux éléments essentiels

Ce travail d’enquête journalistique en trois livres met en exergue les interventions incessantes de Washington et de sociétés étasuniennes pour diviser l’Europe et piller ses richesses, y compris par la guerre. Les dirigeants impérialistes de Washington agissent contre la France et les pays d’Europe comme ils n’ont cessé de le faire contre d’autres à travers le monde tout au long de l’histoire des États-Unis. Comprendre les origines de l’Europe supranationale implique de prendre en compte deux éléments essentiels :

  • l’idéologie totalitaire des milieux impérialistes – financiers, économiques, militaires – de Washington qui veulent imposer leur loi au monde persuadés qu’ils sont une nation moralement et démocratiquement supérieure, « exceptionnelle » ;
  • le recours à tous les moyens, y compris des conflits majeurs, pour assurer leur domination.

L’agression menée contre Haïti en décembre 1914 est révélatrice de cette idéologie mortifère comme des liens étroits entre la grande finance de Wall Street et la Maison-Blanche.

1914 : pillage et massacres en Haïti

Les journalistes Selam Gebrekidan, Matt Apuzzo, Catherine Porter et Constant Méheut ont publié dans le New York Times une enquête fort bien documentée sur cette agression :

« 17 décembre 1914. Huit Marines américains franchissent le seuil de la Banque Nationale d’Haïti en début d’après-midi et en ressortent les bras chargés de caisses en bois remplies d’or. Valeur de la cargaison : 500 000 dollars. Le butin est transporté par chariot jusqu’à la côte sous la garde attentive de soldats américains en civil postés tout au long du trajet. Une fois le rivage atteint, les soldats embarquent la cargaison et rejoignent à vive allure une canonnière stationnée au large. Quelques jours plus tard, l’or repose dans la chambre forte d’une banque de Wall Street. Ces faits se sont déroulés en 1914 et sont les prémices d’une invasion d’Haïti à grande échelle. Les forces américaines s’empareront du pays l’été suivant et le dirigeront d’une main de fer sur une durée de 19 ans. Ce sera l’une des plus longues occupations militaires de l’histoire des États-Unis. Après le départ des troupes en 1934, des financiers américains continueront de tenir les cordons de la bourse du pays pendant encore 13 ans. » [5]

Précision sur cette opération présentée par le secrétaire d’État américain Robert Lansing, comme une « mission civilisatrice » destinée à mettre fin à « l’anarchie, à la sauvagerie et à l’oppression » :

« Sous la pression accrue de la National City Bank of New York, l’ancêtre de Citigroup, les Américains évincent les Français et s’établissent comme puissance dominante en Haïti sur les quelques décennies suivantes. Ils dissoudront son parlement manu militari, massacreront des milliers de Haïtiens, contrôleront les finances du pays pendant plus de 30 ans, et ponctionneront une grande part de ses revenus pour les reverser à des banquiers de New York »…

Mais que font-ils d’autre contre les peuples qui s’opposent à leur diktat et dont ils veulent s’approprier les richesses, y compris en Europe ? Haïti baigne encore dans le sang des massacres de Washington que les dirigeants de la Maison-Blanche préparent leur première grande guerre sur le sol européen.

Diviser l’Europe en attaquant la Russie

Lorsque survient la révolution russe en octobre 1917, le président Woodrow Wilson – président de mars 1913 à mars 1921 –, initiateur de la politique interventionniste des États-Unis, forme une coalition de « nations alliées » afin de renverser le gouvernement russe et d’installer à Moscou un régime permettant aux sociétés étasuniennes de continuer de surexploiter les richesses de la Russie.

En effet, l’un des tous premiers actes du gouvernement communiste sera de nationaliser des grandes entreprises russes pour contrôler les ressources du pays et les mettre au service de son développement. La grande finance compte bien s’opposer par tous moyens à la nouvelle politique économique de Moscou. De nombreux acteurs de Wall Street sont propriétaires de grandes entreprises russes. À lui seul Herbert Hoover, qui sera président des États-Unis de 1929 à 1933, possède des participations importantes dans onze compagnies pétrolières et dans de multiples sociétés avec le millionnaire anglais Leslie Urquhart : douze mines en exploitation, deux fonderies de cuivre, vingt scieries, quatre cents kilomètres de chemin de fer, navires et péniches, hauts-fourneaux, affineries d’or et de métaux précieux au travers du cartel Russo-Asiatic. La Royal Dutch Shell Oil Cie était propriétaire de la Compagnie des pétroles Oural-Caspienne, les Champs pétrolifères du Caucase du Nord, la Nouvelle Compagnie des pétroles Chibarev, et plusieurs autres trusts pétroliers ; le grand trust anglais d’armements Metro-Vickers contrôlait virtuellement l’industrie tsariste des munitions avec le Creusot-Schneider français et l’allemand Krupp ; les grandes banques d’Angleterre et de France : Hoare, les frères Baring, Hambres, le Crédit Lyonnais, la Société Générale, Rothschild, le Comptoir d’escompte de Paris et de nombreuses autres accompagnaient ces entreprises occidentales qui pillaient les richesses de la Russie au détriment du pays qui sombrait dans le sous-développement [6]. Chaque pays avait son plan pour se partager les richesses de la Russie : le plan britannique prévoyait carrément une fédération transcaucasienne qui aurait permis à la Grande-Bretagne une domination exclusive sur les champs de pétrole du Proche-Orient ; le plan japonais prévoyait de coloniser la Sibérie ; le plan français de contrôler le Donetz et la région de la mer Noire ; celui de l’Allemagne de s’emparer des États Baltes et de l’Ukraine.

Au mois de mars 1918, avant même que l’armistice soit signée avec l’Allemagne le 11 novembre, à la demande des États-Unis, Français, Anglais et Japonais envoient des dizaines de milliers de militaires en Russie. À l’été 1919, sans déclaration de guerre, ce sont les forces armées de 14 pays qui envahissent la Russie. Ces « nations alliées » organisent le blocus du plus vaste pays d’Europe et occupent plusieurs de ses régions très riches en or, platine, charbon, pétrole, minerais précieux, bois et autres ressources naturelles et industrielles. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)

Jean-Loup IZAMBERT

[1] – Parlement européen, Recommandation du Parlement européen du 13 décembre 2023 au Conseil, à la Commission et au vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité concernant les relations UE-États-Unis (2023/2126(INI)). Empêcher l’Europe, par Jean-Loup Izambert, éd. Culture & Racines, 2024.

[2] – Lire Empêcher l’Europe. Les États-Unis contre l’Europe, par Jean-Loup Izambert, éd. Culture & Racines, 2024.

[3] – Source : Commission européenne, european-union.europa.eu, mars 2024 : « Jean Monnet l’unificateur ».

[4]L’Ami américain, Washington contre De Gaulle. 1940-1969, par Éric Branca, éd. Perrin.

[5] – « The ransom. Invade Haiti, Wall Street urged. The US obliged » (La rançon. Envahissez Haïti, exhorte Wall Street. Les États-Unis s’exécutent), par Selam Gebrekidan, Matt Apuzzo, Catherine Porter and Constant Méheut, The New York Times, 20 mai 2022, mis à jour le 24 mai 2022. Les Destructeurs, par Jean-Loup Izambert, éd. Jean-Cyrille Godefroy.

[6]La Grande conspiration contre la Russie, par Michel Sayers et Albert E. Kahn, éd. Hier et Aujourd’hui, ch. 7 « Un bilan », p. 140 à 151, Paris 1947.

 

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