Colonel (er) Pierre Brière-Loth : Mon colonel, je termine la lecture passionnante et éclairante de votre ouvrage. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et, de là, nous expliquer votre intérêt pour la géopolitique et, plus particulièrement pour la Chine ?
Colonel (er) Marc Humbert : Colonel à la retraite, saint-cyrien de formation, j’ai servi 41 ans sous les drapeaux. Ayant acquis les bases du métier dans divers régiments d’infanterie, j’ai passé le concours de l’école de guerre (Collège interarmées de défense, ou CID, à l’époque) et choisi de suivre une scolarité en chinois à Langues O, avant de parfaire mes connaissances à l’Université normale de Chongqing. Je mis à profit mon année de CID à Paris pour passer à l’École pratique des hautes études un DEA de géopolitique et stratégie.
J’ai ensuite travaillé près de 4 ans comme analyste sur l’Asie et la Chine à la DRM (Direction du Renseignement Militaire), me déplaçant régulièrement en Chine, à Hong Kong, à Taiwan et en Asie.
J’ai bien sûr occupé d’autres fonctions dans le domaine des langues ou des relations internationales, notamment aux États-Unis et au Nigéria, tout en gardant un œil attentif sur la Chine.
Ayant pris ma retraite fin 2019, j’ai enseigné pendant quatre ans les relations internationales et la géopolitique à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, avec en particulier un cours de présentation générale de la Chine.
Mes notes de cours m’ont ensuite servi à rédiger « La Chine aujourd’hui », conçu comme un ouvrage de référence sur l’histoire contemporaine.
Col. (er) P. B.-L. : Les politiques antinatalistes conduisent à « une catastrophe démographique ». Pourquoi, devant le vieillissement inexorable de la population, le Comité Central n’engage-t-il pas une politique nataliste plutôt que de se contenter d’autoriser à ne plus limiter les naissances ?
Colonel (er) M. H. : En Chine communiste, garder la face est essentiel et, en politique, il est hors de question de se dédire, même quand la situation est catastrophique. Les décisions prises en contradiction avec une politique existante doivent donner l’impression que la nouvelle politique n’est qu’un ajustement de la précédente, une amélioration adoptée de manière feutrée, dans un « consensus » de façade.
La politique de l’enfant unique fut un choix de Deng Xiaoping en 1979 et il est inimaginable de critiquer le « petit timonier ». Le parti a donc choisi de changer sans heurt cette « excellente » politique en desserrant peu à peu l’étau, autorisant deux puis trois enfants, avant de ne plus limiter le nombre à titre officieux et enfin de changer la loi quelque temps après.
Mais rien n’empêche de promouvoir en parallèle de la politique officielle la natalité par des mesures discrètes et compréhensibles de la population : retour discret de la morale confucéenne, allocations pour les études ou le logement des familles, etc.
Col. (er) P. B.-L. : Vous constatez que la puissance de Xi Jinping sur le Parti et sur l’État pourrait aboutir à un « nouveau culte de la personnalité ». Pouvez-vous développer les dangers que cela représente ?
Colonel (er) M. H. : Le danger est clairement de rééditer la tyrannie de l’époque maoïste et le retour d’un régime de terreur et ses résultats dramatiques.
Le culte de la personnalité renvoie à Mao Zedong, qui concentrait tous les pouvoirs grâce à son aura au sein du parti. Il usa de cette autorité pour se maintenir au pouvoir jusqu’à la fin, éliminant tous ses opposants. Après avoir été un chef de parti et un chef de guerre formidable jusqu’en 1949, Mao s’est ensuite révélé un piètre dirigeant politique, menant le pays de catastrophe en catastrophe, imposant des idées utopiques qui causèrent la mort de millions de Chinois.
Quiconque concentre les fonctions de président, secrétaire général du parti et président de la Commission militaire centrale peut être tenté de suivre la même voie. Ainsi, Deng Xiaoping avait sagement fait entériner la limitation du président à deux mandats de 5 ans.
En 2018, Xi Jinping est parvenu à faire changer la constitution par « plébiscite » pour se faire réélire sans limite. Élu pour un troisième mandat en 2023, sa lutte contre la corruption est devenue inquiétante par son ampleur et son objet, l’élimination de ses opposants proches de la Ligue de la jeunesse chinoise et la promotion de ses supporters du groupe de Shanghai.
Par ailleurs, les purges dans les milieux économiques musèlent la créativité et la compétitivité de l’économie chinoise et les fidèles des diverses confessions sont durement opprimés.
Col. (er) P. B.-L. : Quel est le rôle de l’ethnie Han dans la politique chinoise de « colonisation des terres ancestrales » et pourquoi cette ethnie ?
Colonel (er) M. H. : La Chine est composée de 56 ethnies ou nationalités, dont les identités linguistiques et culturelles sont protégées par la constitution. Les Han forment toutefois l’ethnie majoritaire avec plus de 95 % de la population chinoise et fournissent l’immense majorité des membres du parti communiste chinois.
Pour les communistes, le territoire chinois est indivisible et la langue chinoise obligatoire dans l’administration et l’armée. L’idéologie communiste s’impose partout, profitant du poids de la culture chinoise. Cela heurte les traditions ancestrales de certaines minorités peu sinisées, surtout les Tibétains, les Ouighours et les Mongols. Ceux-ci considèrent les menées du parti contre leurs langues, leurs cultures et leurs religions comme une colonisation et revendiquent une réelle autonomie ou même l’indépendance. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)
Cet extrait du numéro 807-808 (juillet-août 2024) de Lectures Françaises vous est offert. Pour lire la suite, commandez le numéro ICI !
Lorsque Mao Zedong mourut en 1976, il laissa une Chine exsangue tant sur le plan humain qu’économique. Avec l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, la Chine allait s’éveiller et s’ouvrir au monde. Depuis cette ouverture en 1978, cet immense pays est devenu la deuxième puissance économique mondiale, très loin devant le Japon, et devrait dépasser les États-Unis d’ici quelques années. Les Chinois ont su tirer d’abord le pays de la misère puis l’ont hissé peu à peu au plus haut niveau. Mais aujourd’hui, alors que la Chine rêve de bousculer l’imperium américain dans le monde et pourquoi pas de le remplacer militairement et politiquement, le spectre d’une nouvelle tyrannie plane sur le pays. Les signes d’un nouveau culte de la personnalité du président Xi Jinping sont déjà perceptibles, annonciateurs d’un futur peu plaisant pour le peuple chinois. En outre, la mise au pas musclée de Hong Kong a récemment démontré aux Chinois de Taiwan, plus anxieux que jamais de garder leur autonomie, que l’éventuel retour à la mère patrie pourrait advenir dans la douleur.
Le lecteur trouvera dans cet ouvrage sur l’histoire contemporaine de la Chine un ouvrage de référence présentant une analyse claire et complète de tous les aspects indispensables à la compréhension de ce pays envoûtant mais méconnu, riche d’une culture et d’une histoire plurimillénaires et fascinantes, un pays également pétri de paradoxes impénétrables.