L’histoire de notre Sainte Jeanne d’Arc a suscité bien plus de livres que de films. Parmi ces films, certains font passer cette jeune fille au rang de « tarée », de « naïve », de mythe, j’en passe et des meilleures. Le film de Besson est l’archétype de la prostitution historique, dans toute sa dégoulinante splendeur « sensuélo-activiste ». En revanche, cette version est tout à fait fidèle à l’histoire racontée par les historiens et les témoins oculaires et/ou relationnels de l’époque. Ah oui c’est vrai : vous n’aurez pas des effets-spéciaux ni un ésotérisme à la sauce « The Lord of the Ring » ou dans cette horreur de « Harry Potter ». Non. En revanche, on y retrouve le charme (et la beauté il faut le dire) du Technicolor… Et puis, puisque c’est fidèle, il faut le voir…
Lu pour vous ce matin dans Présent :
» Quand j’étais une enfant, je rêvais de jouer Jeanne d’Arc. J’ai tellement admiré cette jeune fille brûlée pour son pays et pour sa foi ! Elle est le souvenir le plus cher de ma carrière. »
Le cri du coeur d’Ingrid Bergman est éloquent. En 1948, cette grande vedette suédoise revêtait l’armure de la pucelle d’Orléans. Aux commandes : Victor Fleming, réalisateur de l’épopée sudiste Autant en emporte le vent.
Pourtant, le succès ne fut pas au rendez-vous. Pour plaire au public le public new-yorkais, le réalisateur dut opérer de sévères coupes et faire passer le film d’une durée de 2 h 20 à 1 h 36. Victor Fleming ne devait pas y survivre : il mourut l’année suivante.
Quel gâchis ! Le jeu d’une Ingrid habitée par Jeanne, la splendeur des images Technicolor : tout concourait à bâtir là un chef-d’œuvre. D’autant que la trame du film ne sacrifiait en rien à la rigueur historique. Le père Doncoeur, jésuite français et pionnier du scoutisme catholique, fut le conseiller historique du film. Il louait « l’objectivité historique » et la « pureté d’interprétation » de l’œuvre, véritable « fresque qui déploie toute la vie de Jeanne ». Une vie explorée de bout en bout, y compris la scène majeure du procès qui, sous couvert de religion, fut d’abord une affaire politique.
Cette fresque, la société L’Atelier d’images vous propose de la vivre en intégralité. Elle édite, pour la première fois en DVD, la version originale et restaurée du film. Au diable les coupes malhabiles, ayant transformé l’œuvre en un film « scolaire », au montage « mécanique », selon le documentariste Jérôme Wybon. L’Atelier d’images et The Corporation redonnent vie à ce classique oublié en lui rendant toute sa complexité, sa richesse. Cette version originale, exhumée et restaurée, est plus chronologique que la version commerciale. Elle est surtout plus dense et s’attarde longuement sur la fin de la sainte, entre son procès et sa montée à l’échafaud. Là où le montage « standard » passait directement de la condamnation au bûcher, la version intégrale nous fait côtoyer Jeanne en sa passion. Condamnée, elle se confesse.
Elle quitte sa prison de Rouen, traverse la place du Vieux-Marché, coiffée d’un bonnet frappé d’inscriptions injurieuses. Jeanne d’Arc est là, superbe, terriblement humaine et déjà sainte. Le jeu d’Ingrid Bergman y révèle toute sa puissance et sa sincérité. Hélas ! Pendant plus d’un demi-siècle, c’est la version courte, expurgée de nombreuses scènes majeures, qui fut diffusée en Amérique et partout dans le monde. L’erreur est aujourd’hui réparée.
Alors que l’anneau de la pucelle revient en France, l’Atelier d’Images nous offre un superbe classique à apprécier en famille, tout en profitant de bonus inédits (analyse des montages, témoignages du père Doncoeur, d’Ingrid Bergman et de la fille de l’actrice).
Tugdual Fréhel
Présent, n°8608, samedi 4 mai 2016, p.4