Le Père Jean Dominique, à la manière des auteurs du renouveau thomiste du XXème siècle, est en train d’écrire toute une série de livre d’initiation à la philosophie réaliste. Nous connaissions sa Lettre à un curieux qui constitue une excellente introduction à la philosophie, puis les Sept leçons de politique qui donnent un résumé de tous les principes de philosophie politique. Adam, où es-tu ? est, quant à lui, un ouvrage de psychologie dressant les principes et les facultés de la nature humaine.
Lu pour vous dans les Cahiers Saint-Raphael.
Contrairement à la conception contemporaine de la psychologie, il étudie la nature humaine dans toute sa grandeur. Les sciences modernes empruntes de matérialisme et profondément marquées par la psychanalyse font de la psychologie l’étude des réactions chimiques, de l’hérédité ou de la libido en excluant tout ce qui donne à l’homme sa véritable nature. Mais l’auteur ne tombe pas pour autant dans le spiritualisme qui serait un autre excès tout aussi nocif Il étudie de manière très judicieuse les deux conceptions antagonistes qui s’opposent à une philosophie saine et réaliste.
L’homme n’est ni un sous-homme (Luther, le scepticisme, Machiavel), ni un sur-homme (le stoïcisme, Nietzsche, Marx, Hitler). Il est une personne humaine c’est-à-dire une unité substantielle d’une âme et d’un corps. Une saine psychologie étudiera donc ces deux aspects qui constituent la nature humaine, et toute thérapie en cas de pathologies avérées doit être axée sur l’équilibre entre le corps et l’âme.
Et la force de cet ouvrage est de confronter cette psychologie réaliste aux problèmes modernes. La partie intitulée : « L’homme robot », nous rappelle certains thèmes traités par les Cahiers saint Raphaël et qui sont des objets de préoccupations majeures. Marcel de Corte de son temps parlait « d’intelligence en péril de mort », de nos jours c’est l’humanité qui est en péril de mort. Le monde moderne par la technique dénature l’homme en allant à l’encontre de l’utilisation normale de toutes nos facultés, favorisant un déséquilibre de toute la psychologie humaine et ainsi le désordre au sein de la cité.
Il est donc urgent de rappeler les grands principes de psychologie tels que le fait le Père Jean-Dominique. Il nous démontre, bien évidemment, l’existence de l’âme, principe de vie, mais il étudie aussi toutes les facultés humaines, ses passions, et ses vertus. Notons au passage un très beau chapitre sur l’amour sublimé par la charité.
Cependant, l’auteur ne se contente pas d’étudier les principes, il les applique au réel et montre concrètement comment ils se manifestent dans notre quotidien. La philosophie réaliste, à la différence des pensées modernes, est ancrée dans le concret et n’a pas de difficulté à revenir aux situations de la réalité quotidienne.
On touche ici à la spécificité de cet ouvrage. Il ne consiste pas à étudier de manière scolaire, comme les livres d’étude du Chanoine Verneaux pour ceux qui les connaissent, les différentes facultés et les vertus. Il est très proche de notre quotidien et de nos problématiques modernes. Et nous propose des solutions simples car basées sur le réel, telle que la méthode Vittoz, afin de rééquilibrer la personnalité déstabilisée par la société moderne.
Notons aussi que ce livre décrit la psychanalyse et en présente une critique de fond, un travail qui est assez rare pour ne pas le mettre en avant. Certains ouvrages de critique sont parus sur la question ces 20 dernières années (recensés par le cahier saint Raphaël n°71), mais aucuns traitent le problème dans toute sa profondeur. Louis Jugnet l’avait fait à son époque, mais l’ouvrage est quasiment introuvable et date quand même de 1960. Finalement, c’est un très beau travail fait par le père Jean-Dominique.
En rappelant les principes et en les ancrant dans le réel, une sorte de quiétude se dégage à la fin de la lecture de cet ouvrage. Tout n’est pas perdu, il y a de l’espoir. La vie humaine n’est pas un écartèlement entre l’âme et le corps, mais une harmonie entre ces deux principes qui forment la personne humaine. La psychanalyse a profondément transformé les pensées et la plupart des gens considère que l’homme est un être instable essayant de gérer comme il peut son trop-plein d’énergie par le sport, le recours à des psychologues etc.
Une sorte de philosophie de l’homme absurde où l’homme tel Sisyphe poussant sa pierre est réduit à un esclave. Or la nature humaine créée par Dieu est admirable. L’homme n’est pas voué à un destin malheureux. Il a toutes les facultés pour s’épanouir et atteindre le bonheur. Mais pour cela, il est urgent de revenir à une saine conception de la psychologie telle que la propose le Père. Et l’ouvrage se termine par une belle réflexion sur la personnalité chrétienne. Certains ont peut-être lu l’article publié dans le Cahier saint Raphaël n°123 sur la personne qui est un résumé de ce thème.
L’homme c’est une âme et un corps autrement dit une personne mais qui doit « devenir ce qu’elle est », c’est-à-dire développer sa personnalité par ses facultés sublimées par la grâce. Ainsi que l’affirmait de son temps Gustave Thibon en s’opposant à Freud : «La sublimation est comme une sorte de reflux ascensionnel de l’instinct vers les sources immatérielles de l’être humain, comme l’intégration qualitative des rythmes sensibles dans la pure mélodie de la vie intérieure. Subjectivement, elle s’accompagne d’un sentiment d’équilibre, de paix et de plénitudes intimes, d’une impression de délivrance à l’égard des servitudes et des dissonances des appétits inférieurs, et comme d’une transparence spontanée des profon-deurs de la nature aux influences de l’esprit ».
Il est vrai que l’homme blessé par le péché originel pourrait désespérer d’atteindre la paix et le bonheur, sombrant dans un déterminisme douloureux aux accents freudiens. Mais c’est oublier la venue du Sauveur, qui prenant la nature d’une personne humaine, tout en gardant sa nature divine, est mort sur la Croix pour nous. La personne peut alors prétendre au Souverain Bien et s’y préparer avec l’aide de la grâce toute sa vie qu’elle qu’en soit les obstacles.
Les difficultés sont en réalité là pour que nous nous dépassions et permettre la réalisation de notre personnalité : « la difficulté, prise en elle-même, constitue plutôt une aide, un stimulant, elle favorise le développement des facultés spirituelles, elle aguerrit et donne au caractère une vigueur caractéristique. Le bateau qui se lance en pleine mer doit s’attendre à subir un jour ou l’autre de violentes tempêtes. Que fera-t-il alors ? Si, au milieu de la tourmente, le commandant ne pense qu’à rejoindre un coin de mer tranquille au bord de la côte dans lequel il pourra paresser au calme et sans soucis, il échouera à coup sûr. Lorsque surgit la tempête, il faut au contraire affronter la difficulté et prendre le large. De même, la vie humaine ne gagne rien à fuir le combat. Elle aussi doit atteindre un port à travers des tempêtes de toutes sortes. Car celles-ci sont inévitables». p. 200.
Un bel ouvrage donc, philosophique sans doute, mais qui reste très abordable. A diffuser absolument.
Godeleine Lafargue
Cahiers Saint-Raphael n°127, juin 2017