Défense et illustration de la « souveraineté européenne ». Discours de M. Macron à la Sorbonne le 26 septembre 2017.
Dans un deuxième article, envisageons comment, en s’appuyant sur l’ouvrage de Mario Monti et de Sylvie Goulard [1], Emmanuel Macron passe en revue un certain nombre de politiques à mettre en œuvre au niveau européen, y compris celles appartenant au domaine régalien, ce que De Gaulle appelait « le domaine réservé » (défense, politique étrangère, transition écologique, numérique, budget européen commun, culture, zone euro, institutions européennes, etc.) qui, si elles étaient appliqués, priveraient la France des derniers éléments de souveraineté qui lui restent.
Nous n’avons pas repris, pour ne pas alourdir notre travail, l’ensemble des points soulevés par le président de la République mais seulement ceux qui nous paraissaient les plus importants et emblématiques. La souveraineté européenne, telle que Macron la voit et l’idéalise, commence par la sécurité et la défense.
La sécurité et la défense
Macron veut construire une Europe de la défense (avec qui ?) « avec des engagements communs et un fonds européen de défense ». Pour avoir une force commune d’intervention, il faut un budget militaire commun qui n’est, pour l’instant, qu’à l’état de projet. En lançant cette idée, Macron veut faire porter une partie du budget de la défense, pourtant bien modeste (1,5 % du PIB alors qu’à moins de 2 % tout effort de modernisation et de renouvellement des matériels et des armements est inopérant) sur nos partenaires européens, guère mieux lotis que nous, à l’exception du Royaume-Uni [2] qui vient de quitter l’Union européenne. Saviez-vous que, pour la première fois dans l’histoire de France, le fusil qui équipe les unités combattantes de l’armée ne sera plus français. En effet, le fameux Famas (fusil d’assaut de la manufacture d’armes de Saint-Étienne) sera remplacé par un fusil d’assaut allemand, le HK 416. Déjà, les munitions utilisées par nos armées n’étaient plus fabriquées en France. Ces deux exemples montrent la perte de souveraineté de la France qui n’a plus les moyens financiers d’acheter français, y compris dans des secteurs hautement stratégiques !
Il en va de même pour l’avion de transport militaire européen, fabriqué à Séville en Espagne, l’Airbus A400M, dont le budget initial a été largement dépassé et dont la France n’a pas les moyens de s’équiper en nombre suffisant, faute de crédits, alors que nous louons au prix fort des Antonov russes ou des C17 américains. La défense est considérée par tous les présidents de la République, depuis Giscard, comme une « variable d’ajustement » du budget général de l’État comme on l’a encore vu en 2017 avec la coupe claire de 850 millions d’euros sur le budget de la défense (surcoût des opérations extérieures non financé) qui a entraîné la démission du général de Villiers [3]. Seules la France et le Royaume-Uni ont en Europe une armée digne de ce nom, disposant de l’arme nucléaire. On voit mal, après le retrait du Royaume-Uni de l’UE, l’Allemagne [4] faire un effort supplémentaire en matière de défense pour soulager les finances publiques de la France et faire plaisir à Monsieur Macron.
Dans ces conditions, accueillir dans nos armées nationales des militaires provenant d’autres pays européens, comme le propose M. Macron, relève plus du gadget et de l’effet d’annonce, d’autant que c’est déjà le cas aux écoles militaires de Saint Cyr-Coëtquidan. Bref, l’armée européenne n’est pas pour demain et la France, bien qu’ayant réintégré l’OTAN en 2009 sous Sarkozy l’atlantiste, devra continuer à intervenir seule, en Afrique notamment, sans se soucier de ses collègues du Conseil européen, du Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ou d’un hypothétique comité de défense ! Seule une force européenne de protection civile pourrait voir le jour à brève échéance, telle qu’elle est prévue à l’article 196 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).
La politique migratoire
Au-delà de l’immigration, Macron veut instituer un parquet européen pour lutter contre la criminalité et le terrorisme. Outre le fait qu’il est déjà prévu dans les traités à l’article 86 du TFUE, on sait ce que valent ces politique pénales transnationales. Elles n’ont, le plus souvent, pour objet que de combattre les « opposants politiques », qu’ils soient révisionnistes, nationalistes, populistes ou identitaires, en pratiquant une politique répressive à sens unique (rien de tel pour l’ultra- gauche et toutes ses mouvances) fondée sur l’extradition et les conventions bilatérales.
Revenons à l’immigration telle qu’elle est définie aux articles 77 et suivants du TFUE. Macron souligne que « face au défi migratoire, les réponses doivent être européennes. Il faut protéger nos frontières (fichiers connectés et police des frontières) et accueillir dignement ceux qui méritent l’asile en créant un office européen de l’asile. Enfin, faire une place aux réfugiés est le devoir commun des Européens, en alliant solidarité et efficacité ». Enfin, M. Macron veut : « accélérer l’asile sur le modèle allemand » (sic). On voit bien que ce discours irénique, totalement coupé des réalités, n’est pas capable de répondre à l’invasion migratoire. L’échec de la politique d’asile au niveau européen (appelée dans la novlangue européenne Dublin II) en est la preuve flagrante.
L’Italie et la Grèce, principales destinations des migrants, n’ont de cesse de s’en débarrasser vers des destinations plus accueillantes, la France en particulier. En effet, depuis que l’Allemagne a restreint les entrées sur son territoire, après qu’en 2015 Madame Merkel ait accueilli plus d’un million d’immigrés clandestins, ils se tournent vers la France. Pour 2017, le chiffre encore jamais atteint de 100 000 demandeurs d’asile (+ 17 % par rapport à 2016) a été enregistré, en sachant que les déboutés du droit d’asile, non seulement ne sont pratiquement jamais expulsés mais seront régularisés au bout de 3 ans, en vertu de la circulaire Valls de 2012, à ma connaissance jamais abrogée.
Macron ment sciemment, sachant que les frontières extérieures de l’Europe sont des frontières-passoire, pas ou mal surveillées, tandis que la Turquie menace de nous envoyer plusieurs millions de clandestins, de même que la Libye, si nous n’acceptons pas son chantage financier et politique. Confier à d’autres le soin de nous protéger est parfaitement illusoire. Dernière remarque sur ce point [5] : Macron veut faciliter la régularisation des clandestins vivant en France (consignes aux préfets dans ce sens) ce qui provoquera un formidable appel d’air pour des candidats au départ, pris en charge dès leur arrivée par des associations antiracistes, des organismes para-étatiques et logés gratuitement dans des foyers ou des hôtels réquisitionnés par l’État pour faire face à la saturation des centres d’hébergement.
Les chiffres devraient pourtant nous faire réfléchir : la population musulmane en Europe qui était en 2016 de 26 millions pourrait varier en 2050 de 36 millions (immigration zéro dont 8,6 millions en France, ce qui est à exclure) à 76 millions (immigration haute dont 13,2 millions en France, ce qui est malheureusement plus probable). Face à un danger aussi actuel, une coopération et même une solidarité européenne serait nécessaire si chacun jouait « collectif » et surveillait ses propres frontières lorsqu’elles sont frontières extérieures de l’UE, ce qui n’est pas le cas.
Dans ces conditions, les pays d’Europe centrale (Hongrie, Pologne, République tchèque) ont bien compris qu’on ne pouvait faire confiance à une Europe, représentée par la Commission européenne, qui entend promouvoir une immigration massive, main-d’œuvre bon marché, se substituant progressivement – sorte de « grand remplacement » – à une Europe en plein hiver démographique, dont les générations ne sont pas remplacées et qui, de surcroît, a perdu son âme et ne croit plus en son avenir. À vouloir, comme Macron, concilier les contraires (efficacité et solidarité), on risque au mieux l’immobilisme, au pire de brouiller le message envoyé aux migrants et de décourager ceux qui sont chargés de notre sécurité : policiers (en particulier la PAF), gendarmes, militaires.
Le numérique
Macron propose une innovation radicale, bien dans la ligne du technocrate mondialiste qu’il est. « C’est la révolution des talents avec la création d’une agence européenne pour l’innovation (l’intelligence artificielle) et une politique spatiale européenne ambitieuse ». Vous remarquerez que, dans tous les secteurs, Macron veut créer une agence européenne sur le modèle des agences américaines. Son modèle, ce sont les Américains et ses maîtres sont à rechercher dans la Silicon Valley et du côté des grandes banques d’affaires, l’alliance des multinationales et de la finance. Avec la culture, la politique industrielle (article 173 du TFUE) qui comprend, entre autres, le numérique, le nucléaire, la recherche/développement, les réseaux transeuropéens (articles 170 à 172 du TFUE) est un des domaines où la coopération européenne est souhaitable et peut damer le pion aux géants américains, chinois ou indiens.
On pense bien sûr à la réussite d’Airbus Industrie mais le satellite européen de géolocalisation Galileo est en passe de détrôner le GPS américain, étant cinq fois plus précis et puissant. Galileo est déjà entré dans sa phase opérationnelle sous l’égide du centre national d’études spatiales (CNES). Après un échec en 2008, le dossier est repris en 2009 autour de l’agence spatiale européenne et du CNES. Les premiers satellites sont lancés en 2011, avec en plus un intérêt stratégique pour les États sur le plan militaire. Même si Galileo a coûté beaucoup plus cher que prévu (13 milliards d’euros), les retombées économiques pour les 20 prochaines années s’annoncent prometteuses : entre 10 et 80 milliards d’euros pour l’UE. Espérons qu’il en sera de même pour l’avion de transport militaire européen, l’A400M qui a subi de nombreux retards, augmentant d’autant son coût de production.
Pour réussir une politique industrielle européenne, il faut que chaque État participant à un programme européen joue le jeu, c’est-à-dire y soit présent avec une clé de répartition et s’engage à ne pas acheter le matériel concurrent comme on le voit trop souvent dans l’industrie de l’armement.
La culture
Pour Macron, c’est le ciment le plus fort de l’Europe. « Chaque étudiant devra parler 2 langues européennes d’ici 2024. Chaque jeune devrait avoir passé au moins 6 mois dans un autre pays européen, qu’il soit étudiant ou apprenti. Enfin, il convient de créer des universités européennes avec des diplômes européens qui soient des lieux d’innovation pédagogique et d’excellence ». Macron a sans doute oublié que les universités européennes existaient déjà au Moyen Âge et que la langue latine, langue de l’Université, servait de ciment à l’Europe chrétienne.
Par ailleurs, il nous sert des lieux communs : l’anglo-américain est déjà la langue des jeunes Européens et le français que délaisse M. Macron dans les conférences internationales est en perte de vitesse dans toutes les institutions internationales [6]. À la Commission européenne ou au Parlement européen à Bruxelles, inutile de chercher des documents en français, tout est en anglais. Malgré le Traité de l’Élysée signé en 1963, l’enseignement de l’allemand est en chute libre sauf dans l’Est de la France. Quant à passer 6 mois dans un autre pays, c’est déjà le cas avec les programmes Erasmus. Cela permet de découvrir une autre culture, une autre langue en espérant que ce brassage culturel conduise à un métissage culturel et ethnique que la Commission européenne appelle de ses vœux. Il faut, au nom d’un monde ouvert et globalisé, éviter le repli national, dérive dangereuse vers tous les populismes.
Enfin, créer des diplômes européens, cela existe déjà. Citons pour mémoire le Collège d’Europe de Bruges, l’Institut européen de Florence, l’Institut européen de Maastricht ou le Centre d’études européennes de Strasbourg. M. Macron manque singulièrement d’imagination en matière de culture. Il est vrai que le monde froid et technocratique de l’énarchie conduit rarement à la sensibilité et à la découverte du Beau, du Vrai et du Bien.
Les listes transnationales aux élections européennes
Ici Macron reprend un vieux serpent de mer qui resurgit tous les 5 ans avant les élections européennes. Il faut profiter du Brexit pour « transformer les 73 députés britanniques en liste transnationale européenne en 2019 » [7]. Macron ajoute « qu’en 2024, on ira beaucoup plus loin : la moitié du Parlement européen sera élu sur des listes transnationales ». Il est curieux que le Président de la République française, même Jupiter, puisse décider pour l’ensemble de ses 26 partenaires européens !
Qu’entend-on par listes transnationales ? Ce sont des listes qui comprendraient des représentants de nationalités différentes et éventuellement « transpartis ». Macron envisagerait pour 2019 de créer à Strasbourg un groupe (version européenne d’En Marche) avec des représentants des démocrates-chrétiens, des socialistes et des libéraux [8]. Le Président de ce nouveau groupe pourrait être le très fédéraliste Michel Barnier (toujours LR ?), négociateur du Brexit au nom de l’UE. Pour prendre un exemple célèbre : l’agitateur écolo-gauchiste Cohn-Bendit fut élu député européen vert en Allemagne avant de l’être en France sous prétexte qu’il avait la double nationalité. Déjà, en vertu des articles 20 et 22 du TFUE et de l’article 39 de la Charte européenne des droits fondamentaux, tout ressortissant de l’UE a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et européennes dans le pays où il réside. C’est la porte ouverte au vote des immigrés extra-communautaires non naturalisés (essentiellement de confession musulmane) qui, soutenus par les media, forceront les gouvernements à céder par peur ou par clientélisme. L’objectif, en créant des partis politiques européens et des listes transnationales, est d’essayer d’éliminer les extrêmes. Pour ce faire, on fixe un seuil minimal en deçà duquel on n’aurait pas d’élus.
[…]
[lire la suite dans notre numéro]
Olivier DESTOUCHES
[1] – Voir la première partie de notre étude dans le numéro 728 de Lectures Françaises (décembre 2017), pages 41 à 48.
[2] – À titre d’exemple, le Royaume-Uni va construire un deuxième porte-avions alors que la France a renoncé à le faire pour des raisons budgétaires.
[3] – Voir l’article de Laurent Vergez dans notre précédent numéro (729, janvier 2018).
[4] – L’Allemagne qui ne dépense que 1,3 % de son PIB pour sa défense y consacrera 39 milliards d’euros en 2019 soit plus que la France à la même date (34 milliards d’euros).
[5] – Pour de plus longs développements, je vous renvoie à ma brochure : Face à la bombe migratoire, existe-t-il une réponse ? (Éditions de Chiré) et au livre remarquable de Jean-Yves Le Gallou : Immigration, la catastrophe : que faire ? (Éd. Via Romana).
[6] – Il y a une exception, c’est la Cour de justice de Luxembourg où tous les arrêts sont d’abord rendus en français avant d’être traduits dans les langues des requérants. Pour combien de temps encore ?
[7] – Macron aurait provisoirement fait marche arrière ; en effet, Édouard Philippe, le Premier ministre, a reçu les chefs de partis pour leur soumettre une réforme constitutionnelle : le retour à une seule circonscription nationale pour les élections européennes ce qui serait la sagesse même et rendrait caduque la réforme Raffarin de 2004 sur la régionalisation du scrutin dont le but avoué était de casser l’unité nationale.
[8] – L’article 10 §4 du TUE souligne que « les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne… ».
Suggestion de livres sur ce thème :