Baden-Powell et son scoutisme : sujet controversé chez les catholiques. Le scoutisme selon le père Sevin pousse les jeunes à l’engagement de défense de l’Église. L’aspect omniprésent du naturalisme sociétal ainsi que la nature même du scoutisme à l’origine, rendent nécessaire le contrôle du clergé, pour contrer toute dérive naturaliste.
Lu dans Présent :
Confiance » et « honneur
La belle biographie du créateur du scoutisme, Robert Baden-Powell, par Philippe Maxence, vient d’être éditée en format de poche — ce qui ravira tous les scouts et toutes les guides, qui pourront se l’offrir ou se le faire offrir. Occasion de découvrir l’origine d’un mouvement qui a tant apporté à la jeunesse, et continue de le faire.
– Baden-Powell créateur du scoutisme, utilise ses découvertes
Comme j’ai tenu à le souligner dans mon livre, l’époque voit une multiplication impressionnante d’initiatives dans le domaine éducatif au sens large du terme. Elles concernent autant la recherche pédagogique dans le milieu scolaire que l’essor du sport pour tous, les mouvements de jeunesse que les associations religieuses. Baden-Powell s’inscrit dans ce contexte. Si
— Pourquoi Baden-Powell tenait-il tant à différencier la formation scoute de la formation militaire ?
Baden-Powell a toujours été un militaire atypique. Ce qu’il aime dans l’armée, c’est le grand air, la proximité avec les hommes pendant les missions, les risques pris, le service du pays. Il déteste les casernes, la marche au pas, la hiérarchie lourde et ennuyeuse. Quand il devient général, son aura est telle qu’un mouvement de jeunesse, les Boys Brigades, fait appel à lui. Il découvre alors que
— Baden-Powell ne s’est-il pas conduit comme un criminel de
Criminel de guerre ? Comme vous y allez ! On accuse généralement Baden-Powell de crimes de guerre pour avoir fait exécuter certains adversaires dans le cadre de la guerre coloniale en Afrique. Personnellement, je me méfie des condamnations rétroactives et hors contexte. Mais je n’avais jamais entendu cette accusation pour l’utilisation d’adolescents (et non d’enfants). Reprécisons donc les choses : Baden-Powell n’a jamais utilisé d’adolescents pour les combats. A Mafeking, comme plus
Président des Amis de Chesterton et biographe admiratif de Baden-Powell, comment conciliez-vous leurs attitudes si
Chesterton buvait son bourgogne quasiment glacé. Baden-Powell dormait sur le balcon de sa maison, été comme hiver. En ce qui me concerne, j’aime boire à température et je n’ai pas de balcon. Plus sérieusement, je n’ai pas à concilier leurs attitudes. Chesterton comme Baden-Powell sont des sujets d’étude, passionnants certes, bien qu’à des titres divers, mais avec lesquels je n’ai pas à entrer en consonance sur tout et toujours. Il me semble que, pour passer plusieurs années de sa vie à travailler sur
Quels mots-clés choisiriez-vous pour définir l’attitude de Baden-Powell vis-à-vis des jeunes ?
Confiance ! Baden-Powell fait le pari qu’en faisant concrètement confiance aux jeunes, en s’appuyant sur leur sens de l’honneur, autre mot-clef de la méthode scoute, on peut leur confier de vraies responsabilités qui les formeront à être des adultes pouvant servir leur pays. Quand vous avez 14 ans et que vous
– Vous montrez combien le théâtre joue un grand rôle dans la vie de Baden-Powell même et surtout (le plus surprenant) dans sa vie de soldat et d’officier, par exemple par le biais du « bluff » face aux adversaires. Retrouve-t-on ce trait dans la formation scoute ?
« Jouer le jeu » (cf p. 267) peut prendre divers sens mais, sous la plume de Baden-Powell ne les accepte-t-il pas tous ?
– Vous balayez l’accusation de franc-maçonnerie portée contre Baden-Powell. En quoi y a-t-il prêté le flanc ? Simplement en adaptant Le Livre de la jungle pour la formation des louveteaux ?
— En quoi « notre scoutisme », le scoutisme français catholique,
Le scoutisme français catholique traditionnel, celui du Père Sevin ou du chanoine Cornette, ne se démarque pas tant du scoutisme de Baden-Powell qu’il s’appuie dessus pour aller beaucoup plus loin et, surtout, plus haut. Il faut se souvenir ici de la forte image militaire qu’employait Charles Péguy : « Le spirituel est constamment couché dans le lit de camp du temporel. » Pour aller vite, Baden-Powell a donné les bases naturelles du scoutisme que sa version catholique a non seulement rehaussé dans toutes ses potentialités spirituelles, mais a profondément unifié jusque dans ses dimensions naturelles.
Le scoutisme n’était pas spécialement adapté au monde dans lequel il est né. C’est une réaction aux défaillances de celui-ci, et il suffit de voir les réactions des parents devant la « folie » de leurs enfants pour se convaincre qu’eux ne le trouvaient pas du tout adapté. Le scoutisme est une version moderne et grand public d’un besoin qui s’est concrétisé dans l’histoire par la formation que recevaient les écuyers, les jeunes apprentis ou les jeunes paysans auprès de leurs pères, leurs maîtres et leurs modèles. La modernité a cassé une société organique dans laquelle la préparation à l’âge d’homme se faisait au sein d’un tissu normal et habituel de réseaux sociaux. À ce titre, le scoutisme est une sorte de prothèse. Il vise à palier ce que le monde ne donne plus. Un jeune adolescent aura toujours besoin qu’on lui fasse vraiment confiance, qu’on lui confie des responsabilités. Il aura toujours cet instinct de vivre en bande et d’avoir des signes de reconnaissance. Le scoutisme institutionnalise et organise ces besoins en les ordonnant au bien. Parfois, il réussit et d’autres fois, il échoue. Mais dans un monde de plus en plus artificiel, coupé de Dieu et de la réalité, il a assurément toujours un rôle à jouer.
Propos recueillis par Anne le Pape
Présent, n°8807, 24 février 2017